|
Masters. All offered their Necks to the
Yoke in hopes of securing their Liberty; for tho' they had Sense
enough to perceive the Adbantages of a political Constitution, they
had not Experience enough to see beforehand the Dangers of it; those
among them, who were best qualified to foresee Abuses, were
precisely those who expected to benefit by them; even the soberest
judged it requisite to sacrifice one part of their Liberty to ensure
the other, as a Man, dangerously wounded in any of his Limbs,
readily parts with it to save the rest of his
Body. Such was, or must have been
had Man been left to himself, the origin of Society and of the Laws,
which increased the Fetters of the Weak and the Strength of the
Rich; (18)
irretrievably destroyed natural Liberty, fixed for ever the Laws of
Property and Inequality; changed an artful Usurpation into an
irrevocable Title; and for the
Benefit |
Tous coururent au-devant de leurs fers
croyant assurer leur liberté; car avec assez de raison pour sentir
les avantages d'un établissement politique, ils n'avaient pas assez
d'expérience pour en prévoir les dangers; les plus capables de
pressentir les abus étaient précisément ceux qui comptaient d'en
profiter, et les sages mêmes virent qu'il fallait se résoudre à
sacrifier une partie de leur liberté à la conservation de l'autre,
comme un blessé se fait couper le bras pour sauver le reste du
corps. Telle fut, ou dut être,
l'origine de la société et des lois, qui donnèrent de nouvelles
entraves au faible et de nouvelles forces au riche (Note 18),
détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais
la loi de la propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation
firent un droit irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux
assujettirent désormais tout le genre humain au travail, à la
servitude et à la misère.
Suivantes |
Benefit of a few ambitious Individuals
subjected the rest of Mankind to perpetual Labour, Servitude, and
Misery. We may easily conceive how the Establishment of a single
society rendered that of all the rest absolutely necessary, and how,
to make head against united Forces, it became necessary for the rest
of Mankind to unite in their turn. societies once formed in this
Manner, soon multiplied or spread to such a Degree, as to cover the
Face of the Earth; and not to leave a Corner in the whole Universe,
where a Man could throw off the Yoke, and withdraw his Head from
under the often ill-conducted Sword which he saw perpetually hanging
over it. The Civil Law being thus become the common Rule of
Citizens, the Law of Nature no longer obtained but among the
different Societies, in which, under the Name of the Law of Nations,
it was qualified by some tacit Conventions
to |
On voit aisément comment l'établissement
d'une seule société rendit indispensable celui de toutes les autres,
et comment, pour faire tête à des forces unies, il fallut s'unir à
son tour. Les sociétés se multipliant ou s'étendant rapidement
couvrirent bientôt toute la surface de la terre, et il ne fut plus
possible de trouver un seul coin dans l'univers où l'on pût
s'affranchir du joug et soustraire sa tête au glaive souvent mal
conduit que chaque homme vit perpétuellement suspendu sur la sienne.
Le droit civil étant ainsi devenu la règle commune des citoyens, la
loi de nature n'eut plus lieu qu'entre les diverses sociétés, où,
sous le nom de droit des gens, elle fut tempérée par quelques
conventions tacites pour rendre le commerce possible et suppléer à
la commisération naturelle,
Suivantes |
to render Commerce possible, and supply
the place of natural Compassion, which, losing by degrees all that
Influence over Societies which it originally had over Individuals,
no longer exists but in some great Souls, who consider themselves as
Citizens of the World, and forcing the imaginary Barriers that
separate People from People, after the Example of the sovereign
Being from whom we all derive our Existence, make the whole human
Race the Object of their
Benevolence. Political Bodies, thus
remaining in a State of Nature among themselves, soon experienced
the Inconveniencies which had obliged Individuals to quit it; and
this State became much more fatal to these great Bodies, than it had
been before to the Individuals which now composed them. Hence those
national Wars, those Battles, those Murders, those
Reprisals, |
qui, perdant de société à société presque
toute la force qu'elle avait d'homme à homme, ne réside plus que
dans quelques grandes âmes cosmopolites, qui franchissent les
barrières imaginaires qui séparent les peuples, et qui, à l'exemple
de l'être souverain qui les a créés, embrassent tout le genre humain
dans leur bienveillance. Les corps
politiques restant ainsi entre eux dans l'état de nature se
ressentirent bientôt des inconvénients qui avaient forcé les
particuliers d'en sortir, et cet état devint encore plus funeste
entre ces grands corps qu'il ne l'avait été auparavant entre les
individus dont ils étaient composés. De là sortirent les guerres
nationales, les batailles, les meurtres, les représailles qui font
frémir la nature et choquent la raison, et tous ces préjugés
horribles qui placent au rang des vertus l'honneur de répandre le
sang humain.
Suivantes |
Reprisals, which make Nature shudder
and shock Reason; hence all those horrible Prejudices, which make it
a Virtue and an Honour to shed human Blood. The worthiest Men
learned to consider the cutting the Throats of their Fellows as a
Duty; at length Men began to butcher each other by thousands without
knowing for what; and more Murders were committed in a single
Action, and more horrible Disorders at the taking of a single Town,
than had been committed in the State of Nature during Ages together
upon the whole Face of the Earth. Such are the first Effects we may
conceive to have arisen from the Division of Mankind into different
Societies. Let us return to their
Institution. I know that several
Writers have assigned other Origins of Political Society; as for
Instance, the Conquests of the Powerful, or the Union of the
Weak;
and |
Les plus honnêtes gens apprirent à
compter parmi leurs devoirs celui d'égorger leurs semblables; on vit
enfin les hommes se massacrer par milliers sans savoir pourquoi; et
il se commettait plus de meurtres en un seul jour de combat et plus
d'horreurs à la prise d'une seule ville qu'il ne s'en était commis
dans l'état de nature durant des siècles entiers sur toute la face
de la terre. Tels sont les premiers effets qu'on entrevoit de la
division du genre humain en différentes sociétés. Revenons à leur
institution.
Suivantes |
and it is no matter which of these
Causes we adopt in regard to what I am going to establish: that
however, which I have just laid down, seems to me the most natural,
for the following Reasons. 1st, Because, in the first
Case, the Right of Conquest being in Fact no Right at all, it could
not serve as a Foundation for any other Right, the Conqueror and the
Conquered ever remaining with respect to each other in a State of
War, unless the Conquered, restored to the full Possession of their
Liberty, should freely chuse their Conqueror for their Chief. 'Till
then, whatever Capitulations might have been made between them, as
these Capitulations were founded upon Violence, and of course de
facto null and void, there could not have existed in this
Hypothesis either a true society, or a political Body, or any other
Law but that of the Strongest. 2dly, Because these Words
Strong and Weak, are ambiguous in the second Case;
for |
Je sais que
plusieurs ont donné d'autres origines aux sociétés politiques, comme
les conquêtes du plus puissant ou l'union des faibles, et le choix
entre ces causes est indifférent à ce que je veux établir: cependant
celle que je viens d'exposer me paraît la plus naturelle par les
raisons suivantes: 1. Que dans le premier cas, le droit de conquête
n'étant point un droit n'en a pu fonder aucun autre, le conquérant
et les peuples conquis restant toujours entre eux dans l'état de
guerre, à moins que la nation remise en pleine liberté ne choisisse
volontairement son vainqueur pour son chef. Jusque-là, quelques
capitulations qu'on ait faites, comme elles n'ont été fondées que
sur la violence, et que par conséquent elles sont nulles par le fait
même, il ne peut y avoir dans cette hypothèse ni véritable société,
ni corps politique, ni d'autre loi que celle du plus fort.
Suivantes |
for during the Interval between the
Establishment of the Right of Property or prior Occupation, and that
of political Government, the Meaning of these Terms is better
expressed by the Words Poor and Rich, as before the
Establishment of Laws Men in reality had no other Means of reducing
their Equals, but by invading the Property of these Equals, or by
parting with some of their own Property to them. 3dly,
Because the Poor having nothing but their Liberty to lose, it would
have been the height of Madness in them to give up willingly the
only Blessing they had left without obtaining some consideration for
it: whereas the Rich being sensible, if I may say so, in every Part
of their Possessions, it was much easier to do them Mischief, and
therefore more incumbent upon them to guard against it; and because,
in fine, it is but reasonable to suppose, that a thing has been
invented
by |
2. Que ces mots de fort et de faiblesont
équivoques dans le second cas; que dans l'intervalle qui se trouve
entre l'établissement du droit de propriété ou de premier occupant,
et celui des gouvernements politiques, le sens de ces termes est
mieux rendu par ceux de pauvre et de riche, parce qu'en effet un
homme n'avait point avant les lois d'autre moyen d'assujettir ses
égaux qu'en attaquant leur bien, ou leur faisant quelque part du
sien. 3. Que les pauvres n'ayant rien à perdre que leur liberté,
c'eût été une grande folie à eux de s'ôter volontairement le seul
bien qui leur restait pour ne rien gagner en échange; qu'au
contraire les riches étant, pour ainsi dire, sensibles dans toutes
les parties de leurs biens, il était beaucoup plus aisé de leur
faire du mal, qu'ils avaient par conséquent plus de précautions à
prendre pour s'en garantir et qu'enfin il est raisonnable de croire
qu'une chose a été inventée par ceux à qui elle est utile plutôt que
par ceux à qui elle fait du tort.
Suivantes |
by him to whom it could be of Service,
rather than by him to whom it must prove
detrimental. Government in its
Infancy had no regular and permanent Form. For want of a sufficient
Fund of Philosophy and Experience, Men could see no further than the
present Inconveniencies, and never though of providing Remedies for
future ones, but in Proportion as they arose. In spite of all the
Labours of the wisest Legislators, the political State still
continued imperfect, because it was in a manner the work of Chance;
and, as the Foundations of it were ill laid, Time, tho' sufficient
to discover its Defects and suggest the Remedies for them, could
never mend its original Vices. Men were continually repairing;
whereas, to erect a good Edifice, they should have begun as
Lycurgus did at Sparta, by clearing the Area, and
removing |
Le
gouvernement naissant n'eut point une forme constante et régulière.
Le défaut de philosophie et d'expérience ne laissait apercevoir que
les inconvénients présents, et l'on ne songeait à remédier aux
autres qu'à mesure qu'ils se présentaient. Malgré tous les travaux
des plus sages législateurs, l'état politique demeura toujours
imparfait, parce qu'il était presque l'ouvrage du hasard, et que,
mal commencé, le temps en découvrant les défauts et suggérant des
remèdes, ne put jamais réparer les vices de la constitution. On
raccommodait sans cesse, au lieu qu'il eût fallu commencer par
nettoyer l'aire et écarter tous les vieux matériaux, comme fit
Lycurgue à Sparte, pour élever ensuite un bon édifice.
Suivantes |
removing the old Materials. Society at
first consisted merely of some general Conventions which all the
Members bound themselves to observe, and for the Performance of
which the whole Body became Security to every Individuals.
Experience was necessary to shew the great Weakness of such a
Constitution, and how easy it was for those, who infringed it, to
escape the Convinction or Chastisement of Faults, of which the
Public alone was to be both the Witness and the Judge; the Laws
could not fail of being eluded a thousand Ways; Inconveniencies and
Disorders could not but multiply continually, till it was at last
found necessary to think of committing to private Persons the
dangerous Trust of public Authority, and to Magistrates the Care of
enforcing Obedience to the People: for to say that Chiefs were
elected before Confederacies were formed, and that the Ministers of
the Laws
existed |
La société ne consista d'abord qu'en
quelques conventions générales que tous les particuliers
s'engageaient à observer et dont la communauté se rendait garante
envers chacun d'eux. Il fallut que l'expérience montrât combien une
pareille constitution était faible, et combien il était facile aux
infracteurs d'éviter la conviction ou le châtiment des fautes dont
le public seul devait être le témoin et le juge; il fallut que la
loi fût éludée de mille manières; il fallut que les inconvénients et
les désordres se multipliassent continuellement, pour qu'on songeât
enfin à confier à des particuliers le dangereux dépôt de l'autorité
publique et qu'on commît à des magistrats le soin de faire observer
les délibérations du peuple: car de dire que les chefs furent
choisis avant que la confédération fût faite et que les ministres
des lois existèrent avant les lois mêmes, c'est une supposition
qu'il n'est pas permis de combattre sérieusement.
Suivantes |
existed before the Laws themselves, is
a Supposition too ridiculous to deserve I should seriously refute
it. It would be equally
unreasonable to imagine that Men at first threw themselves into the
Arms of an absolute Master, without any Conditions or Consideration
on his Side; and that the first Means contrived by jealous and
unconquered Men for their common Safety was to run hand over head
into Slavery. In fact, why did they give themselves Superiors, if it
was not to be defended by them against Oppression, and protected in
their Lives, Liberties, and Properties, which are in a manner the
constitutional Elements of their Being? Now in the Relations between
Man and Man, the worst that can happen to one Man being to see
himself at the Discretion of another, would it not have been
contrary to the Dictates of good Sense to
begin |
Il ne serait
pas plus raisonnable de croire que les peuples se sont d'abord jetés
entre les bras d'un maître absolu, sans conditions et sans retour,
et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune qu'aient
imaginé des hommes fiers et indomptés a été de se précipiter dans
l'esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si
ce n'est pour les défendre contre l'oppression, et protéger leurs
biens, leurs libertés, et leurs vies, qui sont, pour ainsi dire, les
éléments constitutifs de leur être?
Suivantes |
begin by making over to a Chief the
only Things for the Preservation of which they stood in need of his
Assistance? What Equivalent could he have offered them for so fine a
Privilege? And had he presumed to exact it on Pretence of defending
them, would he not have immediately received the Answer in the
Apologue? What worse Treatment can we expect from an Enemy? It is
therefore past Dispute, and indeed a fundamental Maxim of Political
Law, that People gave themselves chiefs to defend their Liberty and
not to be enslaved by them. If we have a Prince, said
Pliny to Trajan, it is is order that he may keep us from
having a Master. Political
Writers argue in regard to the Love of Liberty with the same
Sophistry that Philosophers do in regard to the State of Nature; by
the things they see they judge of things very
different |
Or, dans les relations d'homme à homme, le
pis qui puisse arriver à l'un étant de se voir à la discrétion de
l'autre, n'eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se
dépouiller entre les mains d'un chef des seules choses pour la
conservation desquelles ils avaient besoin de son secours? Quel
équivalent eût-il pu leur offrir pour la concession d'un si beau
droit; et, s'il eût osé l'exiger sous le prétexte de les défendre,
n'eût-il pas aussitôt reçu la réponse de l'apologue: Que nous fera
de plus l'ennemi? Il est donc incontestable, et c'est la maxime
fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont
donné des chefs pour défendre leur liberté et non pour les asservir.
Si nous avons un prince, disait Pline à Trajan, c'est afin
qu'il nous préserve d'avoir un maître.
Suivantes |
different which they have never seen,
and they attribute to Men a natural Inclination to Slavery, on
account of the Patience with which the Slaves within their Notice
carry the Yoke; not reflecting that it is with Liberty as with
Innocence and Virtue, the Value of which is not known but by those
who possess them, tho' the Relish for them is lost with the things
themselves. I know the charms of your Country, said Brasidas
to a Satrap who was comparing the Life of the Spartans with
that of the Persepolites; but you cannot know the Pleasures
of mine. As an unbroken Courser
erects his Main, paws the Ground, and rages at the bare Sight of the
Bit, while a trained Horse patiently suffers both Whip and spur,
just so the Barbarian will never reach his Neck to the Yoke which
civilized Man carries without murmuring,
but |
Les
politiques font sur l'amour de la liberté les mêmes sophismes que
les philosophes ont faits sur l'état de nature; par les choses
qu'ils voient ils jugent des choses très différentes qu'ils n'ont
pas vues et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la
servitude par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les
yeux supportent la leur, sans songer qu'il en est de la liberté
comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix
qu'autant qu'on en jouit soi-même et dont le goût se perd sitôt
qu'on les a perdues. Je connais les délices de ton pays, disait
Brasidas à un satrape qui comparait la vie de Sparte à celle de
Persépolis, mais tu ne peux connaître les plaisirs du mien.
Suivantes |
but prefers the most stormy Libery to a
calm Subjection. It is not therefore by the servile Disposition of
enslaved Nations that we must judge of the natural Dispositions of
Man for or against Slavery, but by the Prodigies done by every free
People to secure themselves from Oppression. I know that the first
are constantly crying up that Peace and Tranquility they enjoy in
their Irons, and that miserrimam servitutem pacem appellant:
But when I see the others sacrifice Pleasures, Peace, Riches, Power,
and even Life itself to the Preservation of that single Jewel so
much slighted by those who have lost it; when I see free-born
Animals through a natural Abhorrence of Captivity dash their Brains
out against the Bars of their Prison; when I see Multitudes of naked
Savages despise European Pleasures, and brave Hunger, Fire
and Sword, and Death itself to preserve their Independency; I feel
that
it |
Comme un coursier indompté hérisse ses
crins, frappe la terre du pied et se débat impétueusement à la seule
approche du mors, tandis qu'un cheval dressé souffre patiemment la
verge et l'éperon, l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que
l'homme civilisé porte sans murmure, et il préfère la plus orageuse
liberté à un assujettissement tranquille. Ce n'est donc pas par
l'avilissement des peuples asservis qu'il faut juger des
dispositions naturelles de l'homme pour ou contre la servitude, mais
par les prodiges qu'ont faits tous les peuples libres pour se
garantir de l'oppression. Je sais que les premiers ne font que
vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs
fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant, mais
quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la
richesse, la puissance et la vie même à la conservation de ce seul
bien si dédaigné de ceux qui l'ont perdu; quand je vois des animaux
nés libres et abhorrant la captivité se briser la tête contre les
barreaux de leur prison, quand je vois des multitudes de sauvages
tout nus mépriser les voluptés européennes et braver la faim, le
feu, le fer et la mort pour ne conserver que leur indépendance, je
sens que ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner
de liberté.
Suivantes |
it belongs not to Slaves to argue
concerning Liberty. As to paternal
Authority, from which several have derived absolute Government and
every other mode of Society, it is sufficient, without having
recourse to Locke and Sidney, to observe that nothing
in the World differs more from the cruel Spirit of Despotism than
the Gentleness of that Authority, which looks more to the Advantage
of him who obeys than to the Utility of him who commands; that by
the Law of Nature the Father continues Master of his Child no longer
than the Child stands in need of his Assistance; that after that
Term they become equal, and that then the Son, entirely independent
of the Father, owes him no Obedience, but only Respect. Gratitude is
indeed a Duty which we are bound to pay, but which Benefactors
cannot exact. Instead of saying that civil society is derived from
paternal |
Quant à
l'autorité paternelle dont plusieurs on fait dériver le gouvernement
absolu et toute la société, sans recourir aux preuves contraires de
Locke et de Sidney, il suffit de remarquer que rien au monde n'est
plus éloigné de l'esprit féroce du despotisme que la douceur de
cette autorité qui regarde plus à l'avantage de celui qui obéit qu'à
l'utilité de celui qui commande, que par la loi de nature le père
n'est le maître de l'enfant qu'aussi longtemps que son secours lui
est nécessaire, qu'au-delà de ce terme ils deviennent égaux et
qu'alors le fils, parfaitement indépendant du père, ne lui doit que
du respect, et non de l'obéissance; car la reconnaissance est bien
un devoir qu'il faut rendre, mais non pas un droit qu'on puisse
exiger.
Suivantes |
paternal Authority, we should rather
say that it is to the former that the latter owes its principal
Force: No one Individual was acknowledged as the Father of several
other Individuals, till they settled about him. The Father's Goods,
which he can indeed dispose of as he pleases, are the Ties which
hold his Children to their Dependence upon him, and he may divide
his Substance among them in proportion as they shall have deserved
his Attention by a continual Deference to his Commands. Now the
Subjects of a Despotic Chief, far from having any such Favour to
expect from him, as both themselves and all they have are his
Property, or at least are considered by him as such, are obliged to
receive as a Favour what he relinquishes to them of their own
Property. He does them Justice when he strips them; he treats them
with Mercy when he suffers them to live.
By |
Au lieu de dire que la société civile
dérive du pouvoir paternel, il fallait dire au contraire que c'est
d'elle que ce pouvoir tire sa principale force: un individu ne fut
reconnu pour le père de plusieurs que quand ils restèrent assemblés
autour de lui. Les biens du père, dont il est véritablement le
maître, sont les liens qui retiennent ses enfants dans sa
dépendance, et il peut ne leur donner part à sa succession qu'à
proportion qu'ils auront bien mérité de lui par une continuelle
déférence à ses volontés. Or, loin que les sujets aient quelque
faveur semblable à attendre de leur despote, comme ils lui
appartiennent en propre, eux et tout ce qu'ils possèdent, ou du
moins qu'il le prétend ainsi, ils sont réduits à recevoir comme une
faveur ce qu'il leur laisse de leur propre bien; il fait justice
quand il les dépouille; il fait grâce quand il les laisse vivre.
Suivantes
|
By
continuing in this manner to compare Facts with Right, we should
discover as little Solidity as Truth in the voluntary Establishment
of Tyranny; and it would be a hard Matter to prove the Validity of a
Contract which was binding only on one Side, in which one of the
Parties should stake every thing and the other nothing, and which
could turn out to the Prejudice of him alone who had bound himself.
This odious System is even, at this Day, far from being that of wise
and good Monarchs, and especially of the Kings of France, as
may be seen by divers passages in their Edicts, and particularly by
that of a celebrated Piece published in 1667 in the Name and by the
Order of Lewis XIV. "Let it therefore not be said that the
Sovereign is not subject to the Laws of his Realm, since, that he
is, is a Maxim of the Law of Nations which Flattery has sometimes
attacked, |
En
continuant d'examiner ainsi les faits par le droit, on ne trouverait
pas plus de solidité que de vérité dans l'établissement volontaire
de la tyrannie, et il serait difficile de montrer la validité d'un
contrat qui n'obligerait qu'une des parties, où l'on mettrait tout
d'un côté et rien de l'autre et qui ne tournerait qu'au préjudice de
celui qui s'engage. Ce système odieux est bien éloigné d'être même
aujourd'hui celui des sages et bons monarques, et surtout des rois
de France, comme on peut le voir en divers endroits de leurs édits
et en particulier dans le passage suivant d'un écrit célèbre, publié
en 1667, au nom et par les ordres de Louis XIV: Qu'on ne dise
donc point que le souverain ne soit pas sujet aux lois de son Etat,
puisque la proposition contraire est une vérité du droit des gens
que la flatterie a quelquefois attaquée, mais que les bons princes
ont toujours défendue comme une divinité tutélaire de leurs Etats.
Suivantes |
attacked, but which good Princes
have always defended as the tutelary Divinity of their Realms. How
much more reasonable is it to say with the Sage Plato, that
the perfect Happiness of a State consists in the Subjects obeying
their Prince, the Prince obeying the Laws, and the Laws being
equitable and always directed to the Good of the Public? I shall
not stop to consider, if, Liberty being the most noble Faculty of
Man, it is not degrading one's Nature, reducing one's self to the
level of Brutes, who are the Slaves of Instinct, and even offending
the Author of one's Being, to renounce without reserve the most
precious of his Gifts, and submit to the commission of all the
Crimes he has forbid us, merely to gratify a mad or a cruel Master;
and if this sublime Artist ought to be more irritated at seeing his
Work destroyed than at seeing it dishonoured. I shall only ask what
Right those, who were not afraid thus
to |
Combien est-il plus légitime de dire
avec le sage Platon que la parfaite félicité d'un royaume est qu'un
prince soit obéi de ses sujets, que le prince obéisse à la loi, et
que la loi soit droite et toujours dirigée au bien public. Je ne
m'arrêterai point à rechercher si, la liberté étant la plus noble
des facultés de l'homme, ce n'est pas dégrader sa nature, se mettre
au niveau des bêtes esclaves de l'instinct, offenser même l'auteur
de son être, que de renoncer sans réserve au plus précieux de tous
ses dons, que de se soumettre à commettre tous les crimes qu'il nous
défend, pour complaire à un maître féroce ou insensé, et si cet
ouvrier sublime doit être plus irrité de voir détruire que
déshonorer son plus bel ouvrage. Je demanderai seulement de quel
droit ceux qui n'ont pas craint de s'avilir eux-mêmes jusqu'à ce
point ont pu soumettre leur postérité à la même ignominie, et
renoncer pour elle à des biens qu'elle ne tient point de leur
libéralité, et sans lesquels la vie même est onéreuse à tous ceux
qui en sont dignes?
Suivantes |
to degrade themselves, could have to subject their Descendents to the same Ignominy, and renounce, in the Name of their Posterity, Blessings for which it is not indebted to their Liberality, and without which Life itself must appear a burthen to all those who are worthy to live. Puffendorf says that, as we can transfer our Property from one to another by Contracts and Conventions, we may likewise divest ourselves of our Liberty in favour of other Men. This, in my Opinion, is a very poor way of arguing; for, in the first place, the Property I cede to another becomes by such Cession a thing quite foreign to me, and the Abuse of which can no way affect me; but it concerns me greatly that my Liberty is not abused, and I cannot, without incurring the Guilt of the Crimes I may be forced to commit, expose myself to become the
Instrument |
Pufendorf dit que, tout de même qu'on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu'un. C'est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement; car premièrement le bien que j'aliène me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l'abus m'est indifférent, mais il m'importe qu'on n'abuse point de ma liberté, et je ne puis sans me rendre coupable du mal qu'on me forcera de faire, m'exposer à devenir l'instrument du crime. De plus, le droit de propriété n'étant que de convention et d'institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu'il possède: mais il n'en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir et dont il est moins douteux qu'on ait droit de se dépouiller.
Suivantes |
Instrument of any. Besides, the Right of Property being of mere Human Convention and Institution, every Man may dispose as he pleases of what he possesses: But the Case is otherwise with regard to the essential Gifts of Nature, such as Life and Liberty, which every Man is permitted to enjoy, and of which it is doubtful at least whether any Man has a Right to divest himself: By giving up the one, we degrade our Being; by giving up the other we annihilate it as much as it is our Power to do so; and as no temporal Enjoyments can indemnify us for the loss of either, it would be at once offending both Nature and Reason to renounce them for any Consideration. But tho' we could transfer our Liberty as we do our Substance, the Difference would be very great with regard to our Children, who enjoy our Sustance but by a Cession of our Right; whereas Liberty being a Blessing, which
as |
En s'ôtant l'une on dégrade son être; en s'ôtant l'autre on l'anéantit autant qu'il est en soi; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l'une et de l'autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d'y renoncer à quelque prix que ce fût. Mais quand on pourrait aliéner sa liberté comme ses biens, la différence serait très grande pour les enfants qui ne jouissent des biens du père que par transmission de son droit, au lieu que, la liberté étant un don qu'ils tiennent de la nature en qualité d'hommes, leurs parents n'ont eu aucun droit de les en dépouiller; de sorte que comme pour établir l'esclavage, il a fallu faire violence à la nature, il a fallu la changer pour perpétuer ce droit, et les jurisconsultes qui ont gravement prononcé que l'enfant d'une esclave naîtrait esclave ont décidé en d'autres termes qu'un homme ne naîtrait pas homme.
Suivantes |
as Men they hold from Nature, their Parents have no Right to strip them of it; so that as to establish Slavery it was necessary to do Violence to Nature, so it was necessary to alter Nature to perpetuate such a Right; and the Jurisconsult, who have gravely pronounced that the Child of a Slave comes a Slave into the World, have in other Words decided, that a Man does not come a Man into the World. It therefore appears to me incontestibly true, that not only Governments did not begin by arbitrary Power, which is but the corruption and extreme Term of Government, and at length brings it back to the Law of the strongest against which Governments were at first the Remedy, but even that, allowing they had commenced in this manner, such Power being illegal in itself could never have served as a Foundation to the Rights of
Society, |
Il me paraît donc certain que non seulement les gouvernements n'ont point commencé par le pouvoir arbitraire, qui n'en est que la corruption, le terme extrême, et qui les ramène enfin à la seule loi du plus fort dont ils furent d'abord le remède, mais encore que, quand même ils auraient ainsi commencé, ce pouvoir, étant par sa nature illégitime, n'a pu servir de fondement aux droits de la société, ni par conséquent à l'inégalité d'institution.
Suivantes
|
Society, nor of course to the Inequality of Instition. I shall not now enter upon the Enquiries which still remain to be made into the Nature of the fundamental Pacts of every kind of Government, but, following the common Opinion, confine myself in this place to the Establishment of the Political Body as a real Contract between the Multitude and the Chiefs elected by it. A Contract by which both Parties oblige themselves to the Observance of the Laws that are therein stipulated, and form the Bands of their Union. The Multitude having, on occasion of the social Relations between them, concentered all their Wills in one Person, all the Articles, in regard to which this Will explains itself, become so many fundamental Laws, which oblige without Exception all the Members of the State, and one of which
Laws |
Sans entrer aujourd'hui dans les recherches qui sont encore à faire sur la nature du pacte fondamental de tout gouvernement, je me borne en suivant l'opinion commune à considérer ici l'établissement du corps politique comme un vrai contrat entre le peuple et les chefs qu'il se choisit, contrat par lequel les deux parties s'obligent à l'observation des lois qui y sont stipulées et qui forment les liens de leur union. Le peuple ayant, au sujet des relations sociales, réuni toutes ses volontés en une seule, tous les articles sur lesquels cette volonté s'explique deviennent autant de lois fondamentales qui obligent tous les membres de l'Etat sans exception, et l'une desquelles règle le choix et le pouvoir des magistrats chargés de veiller à l'exécution des autres.
Suivantes
|
Laws regulates the Choice and the Power of the Magistrates appointed to look to the Execution of the rest. This Power extends to every thing that can maintain the Constitution, but extends to nothing that can alter it. To this Power are added Honours, that may render the Laws and the Ministers of them respectable; and the Persons of the Ministers are distinguished by certain Prerogatives, which may make them amends for the great Fatigues inseparable from a good Administration. The Magistrate, on his Side, obliges himself not to use the Power with which he is intrusted but conformably to the Intention of his Constitutents, to maintain every one of them in the peaceable Possession of his Property, and upon all Occasions prefer the Good of the Publick to his own private Interest.
Before |
Ce pouvoir s'étend à tout ce qui peut maintenir la constitution, sans aller jusqu'à la changer. On y joint des honneurs qui rendent respectables les lois et leurs ministres, et pour ceux-ci personnellement des prérogatives qui les dédommagent des pénibles travaux que coûte une bonne administration. Le magistrat, de son côté, s'oblige à n'user du pouvoir qui lui est confié que selon l'intention des commettants, à maintenir chacun dans la paisible jouissance de ce qui lui appartient et à préférer en toute occasion l'utilité publique à son propre intérêt.
Suivantes
|
Before Experience had demonstrated, or a thorough Knowledge of the Human Heart had pointed out, the Abuses inseparable from such a Constitution, it must have appeared so much the more perfect, as those appointed to look to its Preservation were themselves most concerned therein; for Magistracy and its Rights being built solely on the fundamental Laws, as soon as these ceased to exist, the Magistrates would cease to be lawful, the People would no longer be bound to obey them, and, as the Essence of the State did not consist in the Magistrates but in the Laws, the Members of it would immediately become intitled to their primitive and natural Liberty. A little Reflection would afford us new Arguments in Confirmation of this Truth, and the Nature of the Contract might alone convince us that it cannot be irrevocable: for it there was no Superior
Power |
Avant que l'expérience eût montré, ou que la connaissance du coeur humain eût fait prévoir les abus inévitables d'une telle constitution, elle dut paraître d'autant meilleure que ceux qui étaient chargés de veiller à sa conservation y étaient eux-mêmes le plus intéressés; car la magistrature et ses droits n'étant établis que sur les lois fondamentales, aussitôt qu'elles seraient détruites, les magistrats cesseraient d'être légitimes, le peuple ne serait plus tenu de leur obéir, et comme ce n'aurait pas été le magistrat, mais la loi qui aurait constitué l'essence de l'Etat, chacun rentrerait de droit dans sa liberté naturelle.
Suivantes
|
Power capable of guarantying the Fidelity of the contracting Parties and of obliging them to fulfil their mutual Engagements, they would remain sole Judges in their own Cause, and each of them would always have a Right to renounce the Contract, as soon as he discovered that the other had broke the Conditions of it, or that these Conditions ceased to suit his private Conveniencey. Upon this Principle, the Right of Abdication may probably be founded. Now, to consider as we do nothing but what is Human in this Institution, if the Magistrate, who has all the Power in his own Hands, and who appropriates to himself all the Advantages of the Contract, has notwithstanding a Right to divest himself of his Authority; how much a better Right must the People, who pay for all the Faults of its Chief, have to renounce their Dependence upon him. But the shocking Dissentions and Disorders
without |
Pour peu qu'on y réfléchît attentivement, ceci se confirmerait par de nouvelles raisons et par la nature du contrat on verrait qu'il ne saurait être irrévocable: car s'il n'y avait point de pouvoir supérieur qui pût être garant de la fidélité des contractants, ni les forcer à remplir leurs engagements réciproques, les parties demeureraient seules juges dans leur propre cause et chacune d'elles aurait toujours le droit de renoncer au contrat, sitôt qu'elle trouverait que l'autre en enfreint les conditions ou qu'elles cesseraient de lui convenir. C'est sur ce principe qu'il semble que le droit d'abdiquer peut être fondé. Or, à ne considérer, comme nous faisons, que l'institution humaine, si le magistrat qui a tout le pouvoir en main et qui s'approprie tous les avantages du contrat, avait pourtant le droit de renoncer à l'autorité; à plus forte raison le peuple, qui paye toutes les fautes des chefs, devrait avoir le droit de renoncer à la dépendance.
Suivantes
|
without Number, which would be the necessassary Consequence of so dangerous a Privilege, shew more than an thing else how much Human Governments stood in need of a more solid Basis than that of mere Reason, and how necessary it was for the public Tranquillity, that the Will of the Almighty should interpose to give to sovereign Authority a sacred and inviolable Character, which should deprive Subjects of the mischievous Right to dispose of it to whom they pleased. If Mankind had received no other Advantages from Religion, this alone would be sufficient to make them adopt and cherish it, since it is the means of saving more Blood than Fanaticism has been the Cause of spilling. But to resume the Thread of our Hypothesis. The various Forms of Government owe their Origin to the various Degrees of
Inequality |
Mais les dissensions affreuses, les désordres infinis qu'entraînerait nécessairement ce dangereux pouvoir, montrent plus que toute autre chose combien les gouvernements humains avaient besoin d'une base plus solide que la seule raison et combien il était nécessaire au repos public que la volonté divine intervînt pour donner à l'autorité souveraine un caractère sacré et inviolable qui ôtât aux sujets le funeste droit d'en disposer. Quand la religion n'aurait fait que ce bien aux hommes, c'en serait assez pour qu'ils dussent tous la chérir et l'adopter, même avec ses abus, puisqu'elle épargne encore plus de sang que le fanatisme n'en fait couler: mais suivons le fil de notre hypothèse.
Suivantes
|
Inequality between the Members, at the time they first coalesced(?) into a political Body. Where a Man happened to be eminent for Power, for Virtue, for Riches, or for Credit, he became sole Magistrate, and the State assumed a monarchical Form; if many of pretty equal Eminence out-topt all the rest, they were jointly elected, and this Election produced an Aristocracy; those, between whose Fortune or Talents there happened to be no such Disproportion, and who had deviated less from the State of Nature, retained in common the supreme Administration, and formed a Democracy. Time demonstrated which of these Forms suited Mankind best. Some remained altogether subject to the Laws; others soon bowed their Necks to Masters. The former laboured to preserve their Liberty; the latter thought of nothing but invading that of their Neighbours,
jealous |
Les diverses formes des gouvernements tirent leur origine des différences plus ou moins grandes qui se trouvèrent entre les particuliers au moment de l'institution. Un homme était-il éminent en pouvoir, en vertu, en richesses ou en crédit? il fut seul élu magistrat, et l'Etat devint monarchique; si plusieurs à peu près égaux entre eux l'emportaient sur tous les autres, ils furent élus conjointement, et l'on eut une aristocratie. Ceux dont la fortune ou les talents étaient moins disproportionnés et qui s'étaient le moins éloignés de l'état de nature gardèrent en commun l'administration suprême et formèrent une démocratie. Le temps vérifia laquelle de ces formes était la plus avantageuse aux hommes. Les uns restèrent uniquement soumis aux lois, les autres obéirent bientôt à des maîtres. Les citoyens voulurent garder leur liberté, les sujets ne songèrent qu'à l'ôter à leurs voisins, ne pouvant souffrir que d'autres jouissent d'un bien dont ils ne jouissaient plus eux-mêmes. En un mot, d'un côté furent les richesses et les conquêtes, et de l'autre le bonheur et la vertu.
Suivantes
|
jealous at seeing others enjoy a Blessing which themselves had lost. In a word, Riches and Conquest fell to the Share of the one, and Virtue and Happiness to that of the other. In these various Modes of Government the Offices at first were all Elective; and when Riches did not preponderate, the Preference was given to Merit, which gives a natural Ascendant, and to Age, which is the Parent of Deliberateness in Council, and Experience in Execution. The Ancients among the Hebrews, the Geronts of Sparta, the Senate of Rome, nay, the very Etymology of our Word Seigneur, shew how much grey Hairs were formerly respected. The oftener the choice fell upon old Men, the oftener it became necessary to repeat it, and the more the Trouble of such Repetitions
became |
Dans ces divers gouvernements, toutes les magistratures furent d'abord électives, et quand la richesse ne l'emportait pas, la préférence était accordée au mérite qui donne un ascendant naturel et à l'âge qui donne l'expérience dans les affaires et le sang-froid dans les délibérations. Les anciens des Hébreux, les Gérontes de Sparte, le Sénat de Rome, et l'étymologie même de notre mot Seigneur montrent combien autrefois la vieillesse était respectée. Plus les élections tombaient sur des hommes avancés en âge, plus elles devenaient fréquentes, et plus leurs embarras se faisaient sentir; les brigues s'introduisirent, les factions se formèrent, les partis s'aigrirent, les guerres civiles s'allumèrent, enfin le sang des citoyens fut sacrifié au prétendu bonheur de l'Etat, et l'on fut à la veille de retomber dans l'anarchie des temps antérieurs.
Suivantes |
became sensible; Electioneering took place; Factions arose; the Parties contracted ill Blood; civil Wars blazed forth; the Lives of the Citizens were sacrificed to the pretended Happiness of the State; and things at last came to such a pass, as to be ready to relapse into their primitive confusion. The Ambition of the principal Men induced them to take Advantage of these Circumstances to perpetuate the hitherto temporary Charges in their Families; the People already inured to Dependence, accustomed to Ease and the Conveniencies of Life, and too much enervated to break their Fetters, consented to the Increase of their Slavery for the sake of securing their Tranquillity; and it is thus that chiefs, become Hereditary, contracted the habit of considering Magistracies as a Family Estate, and themselves as Proprietors of those Communities, of which at first they were but mere Officers; to call their
Fellow- |
L'ambition des principaux profita de ces circonstances pour perpétuer leurs charges dans leurs familles: le peuple déjà accoutumé à la dépendance, au repos et aux commodités de la vie, et déjà hors d'état de briser ses fers, consentit à laisser augmenter sa servitude pour affermir sa tranquillité et c'est ainsi que les chefs devenus héréditaires s'accoutumèrent à regarder leur magistrature comme un bien de famille, à se regarder eux-mêmes comme les propriétaires de l'Etat dont ils n'étaient d'abord que les officiers, à appeler leurs concitoyens leurs esclaves, à les compter comme du bétail au nombre des choses qui leur appartenaient et à s'appeler eux-mêmes égaux aux dieux et rois des rois.
Suivantes
|
Fellow-Citizens their Slaves; to look upon them, like so many Cows or Sheep, as a Part of their Substance; and to stile themselves the Peers of Gods, and Kings of Kings. By pursuing the Progress of Inequality in these different Revolutions, we shall discover that the Establishment of Laws and of the Right of Property was the first Term of it; the Institution of Magistrates the second; and the third and last the changing of legal into arbitrary Power; so that the different States of Rich and Poor were authorized by the first Epocha; those of Powerful and Weak by the second; and by the third those of Master and Slave, which formed the last Degree of Inequality, and the Term in which all the rest at last end, till new Revolutions entirely dissolve the Government, or bring it back nearer to its legal Constitution.
To |
Si nous suivons le progrès de l'inégalité dans ces différentes révolutions, nous trouverons que l'établissement de la loi et du droit de propriété fut son premier terme; l'institution de la magistrature le second, que le troisième et dernier fut le changement du pouvoir légitime en pouvoir arbitraire; en sorte que l'état de riche et de pauvre fut autorisé par la première époque, celui de puissant et de faible par la seconde, et par la troisième celui de maître et d'esclave, qui est le dernier degré de l'inégalité, et le terme auquel aboutissent enfin tous les autres, jusqu'à ce que de nouvelles révolutions dissolvent tout à fait le gouvernement, ou le rapprochent de l'institution légitime.
Suivantes
|
To conceive the Necessity of this Progress, we are not so much to consider the Motives for the Establishment of political Bodies, as the Forms these Bodies assume in their Administration; and the Inconveniencies with which they are essentially attended: for those Vices, which render social Institutions necessary, are the same which render the Abuse of such Institutions unavoidable; and as (Sparta alone excepted, whose Laws chiefly regarded the Education of Children, and where Lycurgus established such Manners and Customs, as in a great measure made Laws needless,) the Laws, in general less strong, than the Passions, restrain Men without changing them; it would be no hard Matter to prove that every Government, which carefully guarding against all Alteration and Corruption should scrupulously comply with the ends of its Institution, was unnecessarily instituted; and that a Country, where
no |
Pour comprendre la nécessité de ce progrès il faut moins considérer les motifs de l'établissement du corps politique que la forme qu'il prend dans son exécution et les inconvénients qu'il entraîne après lui: car les vices qui rendent nécessaires les institutions sociales sont les mêmes qui en rendent l'abus inévitable; et comme, excepté la seule Sparte, où la loi veillait principalement à l'éducation des enfants et où Lycurgue établit des moeurs qui le dispensaient presque d'y ajouter des lois, les lois en général moins fortes que les passions contiennent les hommes sans les changer; il serait aisé de prouver que tout gouvernement qui, sans se corrompre ni s'altérer, marcherait toujours exactement selon la fin de son institution, aurait été institué sans nécessité, et qu'un pays où personne n'éluderait les lois et n'abuserait de la magistrature, n'aurait besoin ni de magistrats ni de lois.
Suivantes
|
no one either eluded the Laws, or made an ill use of Magistracy, required neither Laws nor Magistrates. Political Distinctions are necessarily attended with civil Distinctions. The Inequality between the People and the Chiefs increases so fast as to be soon felt by the private Members, and appears among them in a thousand Shapes according to their Passions, their Talents, and the Circumstances of Affairs. The Magistrate cannot usurp any illegal Power without making himself Creatures, with whom he must divid it. Besides, the Citizens of a free State suffer themselves to be oppressed merely in proportion as hurried on by a blind Ambition, and looking rather below than above them, they come to love Authority more than Independence. When they submit to Fetters, 'tis only to be the better able to fetter others in their turn. It is no easy Matter to
make |
Les distinctions politiques amènent nécessairement les distinctions civiles. L'inégalité, croissant entre le peuple et ses chefs, se fait bientôt sentir parmi les particuliers et s'y modifie en mille manières selon les passions, les talents et les occurrences. Le magistrat ne saurait usurper un pouvoir illégitime sans se faire des créatures auxquelles il est forcé d'en céder quelque partie. D'ailleurs, les citoyens ne se laissent opprimer qu'autant qu'entraînés par une aveugle ambition et regardant plus au-dessous qu'au-dessus d'eux, la domination leur devient plus chère que l'indépendance, et qu'ils consentent à porter des fers pour en pouvoir donner à leur tour.
Suivantes |
make him obey, who does not wish to command; and the most refined Policy would find it impossible to subdue those Men, who only desire to be independent; but Inequality easily gains ground among base and ambitious Souls, ever ready to run the Risks of Fortune, and almost indifferent whether they command or obey, as she proves either favourable or adverse to them. Thus then there must have been a time, when the Eyes of the People were bewitched to such a Degree, that their Rulers needed only to have said to the most pitiful Wretch, "Be great you and all your Posterity," to make him immediately appear great in the Eyes of every one as well as in his own; and his Descendents took still more upon them, in proportion to their Removes from him: the more distant and uncertain the Cause, the greater the Effect; the longer Line of Drones a
Family |
Il est très difficile de réduire à l'obéissance celui qui ne cherche point à commander et le politique le plus adroit ne viendrait pas à bout d'assujettir des hommes qui ne voudraient qu'être libres; mais l'inégalité s'étend sans peine parmi des âmes ambitieuses et lâches, toujours prêtes à courir les risques de la fortune et à dominer ou servir presque indifféremment selon qu'elle leur devient favorable ou contraire. C'est ainsi qu'il dut venir un temps où les yeux du peuple furent fascinés à tel point que ses conducteurs n'avaient qu'à dire au plus petit des hommes: Sois grand, toi et toute ta race, aussitôt il paraissait grand à tout le monde ainsi qu'à ses propres yeux, et ses descendants s'élevaient encore à mesure qu'ils s'éloignaient de lui; plus la cause était reculée et incertaine, plus l'effet augmentait; plus on pouvait compter de fainéants dans une famille, et plus elle devenait illustre.
Suivantes
|
Family produced, the more illustrious it was reckoned. Were this a proper place to enter into Details, I could easily explain in what manner Inequalities in point of Credit and Authority become unavoidable among private Persons (19) the Moment that, united into one Body, they are obliged to compare themselves one with another, and to note the Differences which they find in the continual Use every Man must make of his Neighbour. These Differences are of several Kinds; but Riches, Nobility or Rank, Power and personal Merit, being in general the principal Distinctions, by which Men in society measure each other, I could prove that the Harmony or Conflict between these different Forces is the surest Indication of the good or bad original Constitution of any State: I could make it appear that, as among
these |
Si c'était ici le lieu d'entrer en des détails, j'expliquerais facilement comment l'inégalité de crédit et d'autorité devient inévitable entre les particuliers (Note 19) sitôt que réunis en une même société ils sont forcés de se comparer entre eux et de tenir compte des différences qu'ils trouvent dans l'usage continuel qu'ils ont à faire les uns des autres. Ces différences sont de plusieurs espèces, mais en général la richesse, la noblesse ou le rang, la puissance et le mérite personnel, étant les distinctions principales par lesquelles on se mesure dans la société, je prouverais que l'accord ou le conflit de ces forces diverses est l'indication la plus sûre d'un Etat bien ou mal constitué. Je ferais voir qu'entre ces quatre sortes d'inégalité, les qualités personnelles étant l'origine de toutes les autres, la richesse est la dernière à laquelle elles se réduisent à la fin, parce qu'étant la plus immédiatement utile au bien-être et la plus facile à communiquer, on s'en sert aisément pour acheter tout le reste.
Suivantes |
these four Kinds of Inequality,
personal Qualities are the Source of all the rest, Riches is that in
which they ultimately terminate, because, being the most immediately
useful to the Prosperity of Individuals, and the most easy to
communicate, they are made use of to purchase every other
Distinction. By this Observation we are enabled to judge with
tolerable Exactness, how much any People has deviated from its
primitive Institution, and what Steps it has still to make to the
extreme Term of Corruption. I could shew how much this universal
Desire of Reputation, of Honours, of Preference, with which we are
all devoured, exercises and compares our Talents and our ?; how much
it excites and mul? our Passions; and, by creating an ?sal
Competition, Rivalship, or ? Enmity among Men, how many ?ntments,
Successes, and Cata? ? every Kind
it |
Observation qui peut faire juger assez
exactement de la mesure dont chaque peuple s'est éloigné de son
institution primitive, et du chemin qu'il a fait vers le terme
extrême de la corruption. Je remarquerais combien ce désir universel
de réputation, d'honneurs et de préférences, qui nous dévore tous,
exerce et compare les talents et les forces, combien il excite et
multiplie les passions, et combien, rendant tous les hommes
concurrents, rivaux ou plutôt ennemis, il cause tous les jours de
revers, de succès et de catastrophes de toute espèce en faisant
courir la même lice à tant de prétendants.
Suivantes |
it daily causes among the innumerable
Pretenders whom it engages in the same Career. I could shew that it
is to this Itch of being spoken of, to this Fury of distinguishing
ourselves which seldom or never gives us a moment's Respite, that we
owe both the best and the worst things among us, our Virtues and our
Vices, our Sciences and our Errors, our Conquerors and our
Philosophers; that is to say, a great many bad things to a very few
good ones. I could prove, in short, that if we behold a handful of
rich and powerful Men seated on the Pinnacle of Fortune and
Greatness, while the Crowd grovel in Obscurity and Want, it is
merely because the first prize what they enjoy but in the same
Degree that others want it, and that, without changing their
Condition, they would cease to be happy the minute the People ceased
to be miserable.
But |
Je montrerais que c'est à cette ardeur de
faire parler de soi, à cette fureur de se distinguer qui nous tient
presque toujours hors de nous-mêmes, que nous devons ce qu'il y a de
meilleur et de pire parmi les hommes, nos vertus et nos vices, nos
sciences et nos erreurs, nos conquérants et nos philosophes,
c'est-à-dire une multitude de mauvaises choses sur un petit nombre
de bonnes. Je prouverais enfin que si l'on voit une poignée de
puissants et de riches au faîte des grandeurs et de la fortune,
tandis que la foule rampe dans l'obscurité et dans la misère, c'est
que les premiers n'estiment les choses dont ils jouissent qu'autant
que les autres en sont privés, et que, sans changer d'état, ils
cesseraient d'être heureux, si le peuple cessait d'être misérable.
Suivantes
|
But these
Details would alone furnish sufficient Matter for a more
considerable Work, in which might be weighed the Advantages and
Disadvantages of every Species of Government, relatively to the
Rights of Man in a State of Nature, and might likewise beunveiled
all the different Faces under which Inequality has appeared to this
Day, and may hereafter appear to the end of Time, according to the
Nature of these several Governments, and the Revolutions which Time
must unavoidably occasion in them. We should then see the Multitude
oppressed by domestic Tyrants in consequence of those very
Precautions taken by them to guard against foreign Masters. We
should see Oppression increase continually without its being ever
possible for the Oppressed to know where it would stop, nor what
lawful Means they had left to check its Progress. We should see the
Rights of Citizens, and
the |
Mais ces
détails seraient seuls la matière d'un ouvrage considérable dans
lequel on pèserait les avantages et les inconvénients de tout
gouvernement, relativement aux droits de l'état de nature, et où
l'on dévoilerait toutes les faces différentes sous lesquelles
l'inégalité s'est montrée jusqu'à ce jour et pourra se montrer dans
les siècles selon la nature de ces gouvernements et les révolutions
que le temps y amènera nécessairement. On verrait la multitude
opprimée au-dedans par une suite des précautions mêmes qu'elle avait
prises contre ce qui la menaçait au-dehors. On verrait l'oppression
s'accroître continuellement sans que les opprimés pussent jamais
savoir quel terme elle aurait, ni quels moyens légitimes il leur
resterait pour l'arrêter.
Suivantes |
the Liberties of Nations extinguished
by slow Degrees, and the Groans, and Protestations and Appeals of
the Weak treated as seditious Murmurings. We should see Policy
confine to a mercenary Portion of the People the Honour of defending
the common Cause. We should see Imposts made necessary by such
Measures, the disheartened Husbandman desert his Field even in time
of Peace, and quit the Plough to take up the Sword. We should see
fatal and whimsical Rules laid down concerning the Point of Honour.
We should see the Champions of their Country sooner or later become
her Enemies, and perpetually holding their Poinards to the Breasts
of their Fellow-Citizens. Nay the time would come when they might be
heard to say to the Oppressor of their Country:
PECTORE |
On verrait les droits des citoyens et
les libertés nationales s'éteindre peu à peu, et les réclamations
des faibles traitées de murmures séditieux. On verrait la politique
restreindre à une portion mercenaire du peuple l'honneur de défendre
la cause commune: on verrait de là sortir la nécessité des impôts,
le cultivateur découragé quitter son champ même durant la paix et
laisser la charrue pour ceindre l'épée. On verrait naître les règles
funestes et bizarres du point d'honneur. On verrait les défenseurs
de la patrie en devenir tôt ou tard les ennemis, tenir sans cesse le
poignard levé sur leurs concitoyens, et il viendrait un temps où
l'on les entendrait dire à l'oppresseur de leur pays:
Suivantes |
PECTORE si fratris gladium juguloque
parentis Condere me jubeas, gravidæque in viscera
partu Conjugis, in vitá peragam tamen omnia destrâ.
From the vast
Inequality of Conditions and Fortunes, from the great Variety of
Passions and of Talents, of useless Arts, of pernicious Arts, of
frivolous Sciences, would issue Clouds of Prejudices equally
contrary to Reason, to Happiness, to Virtue. We should see the
Chiefs foment every thing that tends to weaken Men formed into
Societies by dividing them; every thing that, while it gives Society
an Air of apparent Harmony, sows in it the Seeds of real Division;
every thing that can inspire the different Orders with mutual
Distrust and Hatred by an Opposition of their Rights and Interests,
and of course strengthen that Power which contains them all.
'Tis |
Pectore si fratris gladium
juguloque parentis Condere me jubeas, gravidae que in
viscera a partu Conjugis, invita peragam tamen omnia
dextra.
De l'extrême inégalité des conditions et des fortunes, de la
diversité des passions et des talents, des arts inutiles, des arts
pernicieux, des sciences frivoles sortiraient des foules de
préjugés, également contraires à la raison, au bonheur et à la
vertu. On verrait fomenter par les chefs tout ce qui peut affaiblir
des hommes rassemblés en les désunissant; tout ce qui peut donner à
la société un air de concorde apparente et y semer un germe de
division réelle; tout ce qui peut inspirer aux différents ordres une
défiance et une haine mutuelle par l'opposition de leurs droits et
de leurs intérêts, et fortifier par conséquent le pouvoir qui les
contient tous.
Suivantes |
'Tis from
the Bosom of this Disorder and these Revolutions, that Despotism
gradually rearing up her hideous Crest, and devouring in every part
of the State all that still remained found and untainted, would at
last issue to trample upon the Laws and the People, and establish
herself upon the Ruins of the Republic. The Times immediately
preceding this last Alteration would be Times of Calamity and
Trouble: But at last every thing would be swallowed up by the
Mosnter; and the People would no longer have Chiefs or Laws, but
only Tyrants. At this fatal Period all regard to Virtue and Manners
would likewise disappear; for Despotism, cui ex honesto nulla est
spes, tolerates no other Master, wherever it reigns; the Moment
it speaks, Probity and Duty lose all their Influence, and the
blindest Obedience is the only Virtue the miserable Slaves have left
them to practise.
This |
C'est du
sein de ce désordre et de ces révolutions que le despotisme, élevant
par degrés sa tête hideuse et dévorant tout ce qu'il aurait aperçu
de bon et de sain dans toutes les parties de l'Etat, parviendrait
enfin à fouler aux pieds les lois et le peuple, et à s'établir sur
les ruines de la république. Les temps qui précéderaient ce dernier
changement seraient des temps de troubles et de calamités, mais à la
fin tout serait englouti par le monstre et les peuples n'auraient
plus de chefs ni de lois, mais seulement des tyrans. Dès cet instant
aussi il cesserait d'être question de moeurs et de vertu; car
partout où règne le despotisme, cui ex honesto nulla est spes, il ne
souffre aucun autre maître; sitôt qu'il parle, il n'y a ni probité
ni devoir à consulter, et la plus aveugle obéissance est la seule
vertu qui reste aux esclaves.
Suivantes |
This is
the last Term of Inequality, the extreme Point which closes the
Circle and meets that from which we set out. 'Tis here that all
private Men return to their primitive Equality, because they are no
longer of any Account; and that, the Subjects having no longer any
Law but that of their Master, nor the Master any other Law but his
Passions, all Motions of Good and Principles of Justice again
disappear. 'Tis here that every thing returns to the sole Law of the
Strongest, and of course to a new State of Nature different from
that with which we began, in as much as the first was the State of
Nature in its Purity, and the last the consequence of excessive
Corruption. There is, in other respects, so little Difference
between these two States, and the Contract of Government is so much
dissolved by Despotism, that the Despot is no longer Master than he
continues the strongest, and that, as soon as his Slaves
can |
C'est ici le
dernier terme de l'inégalité, et le point extrême qui ferme le
cercle et touche au point d'où nous sommes partis. C'est ici que
tous les particuliers redeviennent égaux parce qu'ils ne sont rien,
et que les sujets n'ayant plus d'autre loi que la volonté du maître,
ni le maître d'autre règle que ses passions, les notions du bien et
les principes de la justice s'évanouissent derechef. C'est ici que
tout se ramène à la seule loi du plus fort et par conséquent à un
nouvel état de nature différent de celui par lequel nous avons
commencé, en ce que l'un était l'état de nature dans sa pureté, et
que ce dernier est le fruit d'un excès de corruption.
Suivantes |
can expel him, they may do it without
his having the least Right to complain of their using him ill. The
Insurrection, which ends in the Death or Deposition of a Sultan, is
as juridical an Act as any by which the Day before he disposed of
the Lives and Fortunes of his subjects. Force alone upheld him,
Force alone overturns him. Thus all things take place and succeed in
their natural Order; and whatever may be the upshot of these hasty
and frequent Revolutions, no one Man has reason to complain of
another's Injustice, but only of his own Indiscretion or bad
Fortune. By thus discovering and
following the lost and forgotten Tracks, by which Man from the
natural must have arrived at the civil State; by restoring, with the
intermediate Positions which I have been just indicating, those
which want of Leisure obliges me to suppress, or
which |
Il y a si peu de différence d'ailleurs
entre ces deux états et le contrat de gouvernement est tellement
dissous par le despotisme que le despote n'est le maître qu'aussi
longtemps qu'il est le plus fort et que, sitôt qu'on peut
l'expulser, il n'a point à réclamer contre la violence. L'émeute qui
finit par étrangler ou détrôner un sultan est un acte aussi
juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies et
des biens de ses sujets. La seule force le maintenait, la seule
force le renverse; toutes choses se passent ainsi selon l'ordre
naturel, et quel que puisse être l'événement de ces courtes et
fréquentes révolutions, nul ne peut se plaindre de l'injustice
d'autrui, mais seulement de sa propre imprudence, ou de son malheur.
Suivantes
|
which my Imagination has not suggested,
every attentive Reader must unavoidably be struck at the immense
Space which separates these two States. 'Tis in this slow succession
of things he may meet with the Solution of an infinite Number of
Problems in Morality and Politics, which Philosophers are puzzled to
solve. He will perceive that, the Mankind of one Age not being the
Mankind of another, the Reason why Diogenes could not find a
Man was, that he sought among his Contemporaries the Man of an
earlier Period: Cato, he will then see, fell with Rome
and with Liberty, because he did not suit the Age in which he lived;
and the greatest of Men served only to astonish that World, which
would have chearfully obeyed him, had he come into it five hundred
Years earlier. In a word, he will find himself in a Condition to
understand how the Soul and the Passions of Men by insensible
Alterations change as it were
their |
En découvrant et suivant ainsi les routes
oubliées et perdues qui de l'état naturel ont dû mener l'homme à
l'état civil, en rétablissant, avec les positions intermédiaires que
je viens de marquer, celles que le temps qui me presse m'a fait
supprimer, ou que l'imagination ne m'a point suggérées, tout lecteur
attentif ne pourra qu'être frappé de l'espace immense qui sépare ces
deux états. C'est dans cette lente succession des choses qu'il verra
la solution d'une infinité de problèmes de morale et de politique
que les philosophes ne peuvent résoudre. Il sentira que le genre
humain d'un âge n'étant pas le genre humain d'un autre âge, la
raison pour quoi Diogène ne trouvait point d'homme, c'est qu'il
cherchait parmi ses contemporains l'homme d'un temps qui n'était
plus: Caton, dira-t-il, périt avec Rome et la liberté, parce qu'il
fut déplacé dans son siècle, et le plus grand des hommes ne fit
qu'étonner le monde qu'il eût gouverné cinq cents ans plus tôt. En
un mot, il expliquera comment l'âme et les passions humaines,
s'altérant insensiblement, changent pour ainsi dire de nature;
pourquoi nos besoins et nos plaisirs changent d'objets à la longue;
Suivantes
|
their Nature; how it comes to pass,
that at the long run our Wants and our Pleasures change Objects;
that, original Man vanishing by degrees, Society no longer offers to
our Inspection but an assemblage of artificial Men and factitious
Passions, which are the Work of all these new Relations, and have no
Foundation in Nature. Reflection teaches us nothing on that Head,
but what Experience perfectly confirms. Savage Man and civilized Man
differ so much at bottom in point of Inclinations and Passions, that
what constitutes the supreme Happiness of the one would reduce the
other to despair. The first sighs for nothing but Repose and
Liberty; he desires only to live, and to be exempt from Labour; nay,
the Ataraxy of the most confirmed Stoic falls short of his
consummate Indifference for every other Object. On the contrary, the
Citizen always in Motion, is perpetually sweating and toiling, and
racking his Brains to find
out |
pourquoi, l'homme originel s'évanouissant
par degrés, la société n'offre plus aux yeux du sage qu'un
assemblage d'hommes artificiels et de passions factices qui sont
l'ouvrage de toutes ces nouvelles relations et n'ont aucun vrai
fondement dans la nature. Ce que la réflexion nous apprend
là-dessus, l'observation le confirme parfaitement: l'homme sauvage
et l'homme policé diffèrent tellement par le fond du coeur et des
inclinations que ce qui fait le bonheur suprême de l'un réduirait
l'autre au désespoir. Le premier ne respire que le repos et la
liberté, il ne veut que vivre et rester oisif, et l'ataraxie même du
stoïcien n'approche pas de sa profonde indifférence pour tout autre
objet. Au contraire, le citoyen toujours actif sue, s'agite, se
tourmente sans cesse pour chercher des occupations encore plus
laborieuses: il travaille jusqu'à la mort, il y court même pour se
mettre en état de vivre, ou renonce à la vie pour acquérir
l'immortalité.
Suivantes |
out Occupations still more laborious:
He continues a Drudge to his last Minute; nay, he courts Death to be
able to live, or renounces Life to acquire Immortality. He cringes
to Men in Power whom he hates, and to rich Men whom he despises; he
sticks at nothing to have the Honour of serving them; he is not
ashamed to value himself on his own Weakness and the Protection they
afford him; and proud of his Chains, he speak with Disdain of those
who have not the Honour of being the Partner of his Bondage. What a
Spectacle must the painful and envied Labours of an European
Minister of State form in the Eyes of a Carribean! How many
cruel Deaths would not this indolent Savage prefer to such a horrid
Life, which very often is not even sweetened by the Pleasure of
doing good? But to see the drift of so many Cares, his Mind should
first have affixed some Meaning to these Words Power and
Reputation, |
Il fait sa cour aux grands qu'il hait et
aux riches qu'il méprise; il n'épargne rien pour obtenir l'honneur
de les servir; il se vante orgueilleusement de sa bassesse et de
leur protection et, fier de son esclavage, il parle avec dédain de
ceux qui n'ont pas l'honneur de le partager. Quel spectacle pour un
Caraïbe que les travaux pénibles et enviés d'un ministre européen!
Combien de morts cruelles ne préférerait pas cet indolent sauvage à
l'horreur d'une pareille vie qui souvent n'est pas même adoucie par
le plaisir de bien faire? Mais pour voir le but de tant de soins, il
faudrait que ces mots, puissance et réputation,
eussent un sens dans son esprit, qu'il apprît qu'il y a une sorte
d'hommes qui comptent pour quelque chose les regards du reste de
l'univers, qui savent être heureux et contents d'eux-mêmes sur le
témoignage d'autrui plutôt que sur le leur propre.
Suivantes |
Reputation; he should be
apprized that there are Men who consider as something the looks of
the rest of Mankind, who know how to be happy and satisfied with
themselves on the Testimony of others sooner than upon their own. In
fact, the real Source of all those Differences, is that the Savage
lives within himself; whereas the Citizen, constantly beside
himself, knows only how to live in the Opinion of others; insomuch
that it is, if I may say so, merely from their Judgement that he
derives the Consciousness of his own Existence. It is foreign to my
subject to shew how this Disposition engenders so much Indifference
for good and evil, notwithstanding so many and such fine Discourses
of Morality; how every thing, being reduced to Appearances, becomes
mere Art and Mummery; Honour, Friendship, Virtue, and often Vice
itself, which we at last learn the secret to boast of; how, in
short, ever
inquiring |
Telle est, en effet, la véritable cause de
toutes ces différences: le sauvage vit en lui-même; l'homme sociable
toujours hors de lui ne fait vivre que dans l'opinion des autres, et
c'est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu'il tire le
sentiment de sa propre existence. Il n'est pas de mon sujet de
montrer comment d'une telle disposition naît tant d'indifférence
pour le bien et le mal, avec de si beaux discours de morale;
comment, tout se réduisant aux apparences, tout devient factice et
joué; honneur, amitié, vertu, et souvent jusqu'aux vices mêmes, dont
on trouve enfin le secret de se glorifier; comment, en un mot,
demandant toujours aux autres ce que nous sommes et n'osant jamais
nous interroger là-dessus nous-mêmes, au milieu de tant de
philosophie, d'humanité, de politesse et de maximes sublimes, nous
n'avons qu'un extérieur trompeur et frivole, de l'honneur sans
vertu, de la raison sans sagesse, et du plaisir sans bonheur.
Suivantes |
inquiring of others what we are, and
never daring to question ourselves on so delicate a Point, in the
midst of so much Philosophy Humanity and Politeness, and so many
sublime Maxims, we have nothing to shew for ourselves but a
deceitful and frivolous Exterior, Honour without Virtue, Reason
without Wisdom, and Pleasure without Happiness. It is sufficient
that I have proved that this is not the original Condition of Man,
and that it is merely the Spirit of Society, and the Inequality
which Society engenders, that thus change and transform all our
natural Inclinations. I have
endeavoured to exhibit the Origin and Progress of Inequality, the
Institution and Abuse of Political Societies, as far as these things
are capable of being deduced from the
Nature |
Il me suffit d'avoir prouvé que ce n'est
point là l'état originel de l'homme et que c'est le seul esprit de
la société et l'inégalité qu'elle engendre qui changent et altèrent
ainsi toutes nos inclinations
naturelles. J'ai tâché d'exposer
l'origine et le progrès de l'inégalité, l'établissement et l'abus
des sociétés politiques, autant que ces choses peuvent se déduire de
la nature de l'homme par les seules lumières de la raison, et
indépendamment des dogmes sacrés qui donnent à l'autorité souveraine
la sanction du droit divin.
Suivantes |
Nature of Man by the mere light of
Reason, and independently of those sacred Maxims which give to the
Sovereign Authority the Sanction of Divine Right. It follows from
this Picture, that as there is scarce any Inequality among Men in a
State of Nature, all that which we now behold owes its force and its
growth to the Development of our Faculties and the Improvement of
our Understanding, and at last becomes permanent and lawful by the
Establishment of Property and of Laws. It likewise follows that
moral Inequality, authorized by any Right that is merely positive,
clashes with natural Right, as often as it does not combine in the
same Proportion with Physical Inequality; a Distinction which
sufficiently determines, what we are to think in that respect of
that Kind of Inequality which obtains in all civilized Nations,
since it is
evidently |
Il suit de cet exposé que l'inégalité,
étant presque nulle dans l'état de nature, tire sa force et son
accroissement du développement de nos facultés et des progrès de
l'esprit humain et devient enfin stable et légitime par
l'établissement de la propriété et des lois. Il suit encore que
l'inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est
contraire au droit naturel, toutes les fois qu'elle ne concourt pas
en même proportion avec l'inégalité physique; distinction qui
détermine suffisamment ce qu'on doit penser à cet égard de la sorte
d'inégalité qui règne parmi tous les peuples policés;
Suivantes |
evidently against the Law of Nature
that Infancy should command old Age, Folly conduct Wisdom, and a
handful of Men should be ready to choak with Superfluities, while
the famished Multitude want the commonest Necessaries of Life.
NOTES. |
puisqu'il est manifestement contre la Loi
de Nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant
commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage, et
qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la
multitude affamée manque du nécessaire. NOTES |
DEDICATION. Pag. viii.
(1.) Herodotus relates that after the Murder of the false Smerdis, the seven Deliverers of Persia being assembled to consult upon the Form of Government they should give their Country, Otanes pleaded strongly in Favour of the Republican; and Advice the more extraordinary in the Mouth of a Satrap, as, besides the Pretensions he might have formed to the Throne, Men in Power generally fear more than Death itself a Species of Government which obliges them to respect other Men. But Otanes, as we may well imagine, was not heard; therefore seeing the rest on the Point of proceeding to the choice of a Monarch, he, who did not seek to command or obey, voluntarily ceded his Right to the Crown to the other Competitors, without requiring any other Indemnification than that of being independent, him and all his Posterity. Though Herodotus had not acquainted us with the Bounds set to this Privilege, we should be under an indispensable Necessity of supposing some; otherwise Otanes, acknowledging no kind of Law, and not being bound to account to any one for his Conduct, had nothing to fear whatever he attempted, and would have been more powerful than the King himself. But there was very little Danger that a Man, capable of putting up on such an Occasion with such a Privilege, should make an ill Use of it. In fact, it does not appear that this Right ever caused the least Disturbance in the Kingdom, either by the sage Otanes, or any of his Descendants.
Return to Text |
(Note 1) Hérodote raconte qu'après le meurtre du faux Smerdis, les sept libéteurs de la Perse s'étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu'ils donneraient à l'Etat, Otanès opina fortement pour la république; avis d'autant plus extraordinaire dans la bouche d'un satrape qu'outre la prétention qu'il pouvait avoir à l'empire, les Grands craignent plus que la mort une sorte de gouvernement qui les force à respecter les hommes. Otanès, comme on peut bien croire, ne fut pointé écouté et, voyant qu'on allait procéder à l'élection d'un monarque, lui qui ne voulait
ni obéir ni commander, céda volontairement aux autres concurrents son droit à la couronne, demandant pour tout dédommagement d'être libre et indépendant, lui et sa postérité, ce qui lui fut accordé. Quand Hérodote ne nous apprendrait pas la restriction qui fut mise à ce privilège, il faudrait nécessairement la supposer; autrement Otanè, ne reconnaissant aucune sorte de loi et n'ayant de compte à rendre à personne, aurait été tout-puissant dans l'Etat et plus puissant que le roi même. Mais il n'y avait guère d'apparence qu'un homme capable de se contenter en pareil cas d'un tel privilège fût capable d'en abuser. En effet, on ne voit pas que ce droit ait jamais causé le moindre trouble dans le royaume, ni par le sage Otanès, ni aucun de ses descendants.
Retour au texte |
PREFACE.
Pag. xlv. (2.) From my first setting out, I build with Confidence upon one of those Authorities which Philosophers respect, because derived from solid and sublime Reasons, which they, and they alone, are capable of discovering and feeling. "Whatever Interest we may have to know ourselves, I doubt if we do not know much better those Things which make no Part of us. Provided by Nature with Organs solely adapted to our Preservation, we employ them merely to receive foreign Impressions; all our Care is to exist without ourselves; too much taken up in multiplying the Functions of our Senses and increasing the exterior Extent of our Being, we seldom make Use of that interior Sense which reduces us to our true Dimensions, and which reduces us to our true Dimensions, and which separates from us every thing that makes no Part of us. This is, however, the Sense we must make use of, if we intend to know ourselves; this is the only Sense by which we can judge ourselves. But the Difficulty is to give this Sense its Activity and proper Extent; to free our Soul, in which it resides, from every Illusion of our Understanding: We have lost the Habit of employing it; it has remained in a State of Inaction in the Midst of the Tumult bred by our corporeal Sensations, and has been parched up by the Heat of our Passions; the Heart, the Mind, the Senses, every thing has laboured to oppose it." Hist. Nat. T. 4. p. 151. de la Nature de l'homme.
Return to Text |
(Note 2) Dès mon premier pas je m'appuie avec confiance sur une de ces autorités respectables pour les philosophes, parce qu'elles viennent d'une raison solide et sublime qu'eux seuls savent trouver et sentir.
"Quelque intérêt que nous ayons à nous connaître nous-mêmes, je ne sais si nous ne connaissons pas mieux tout ce qui n'est pas nous. Pourvus par la nature d'organes uniquement destinés à notre conservation, nous ne les employons qu'à recevoir les impressions étrangères, nous ne cherchons qu'à nous répandre au-dehors, et à exister hors de nous; trop occupés à multiplier les fonctions de nos sens et à augmenter l'étendue extérieure de notre être, rarement faisons-nous usage de ce sens intérieur qui nous réduit à nos vraies dimensions et qui sépare de nous tout ce qui n'en est pas. C'est cependant de ce sens dont il faut
nous servir, si nous voulons nous connaître; c'est le seul par lequel nous puissions nous juger. Mais comment donner à ce sens son activité et toute son étendue? Comment dégager notre âme, dans laquelle il réside, de toutes les illusions de notre esprit? Nous avons perdu l'habitude de l'employer, elle est demeurée sans exercice au milieu du tumulte de nos sensations corporelles, elle s'est desséchée par le feu de nos passions; le coeur, l'esprit, le sens, tout a travaillé contre elle."
Hist. Nat. T4, p. 151, De la Nat. de l'homme.
Retour au texte |
DISCOURSE. Pag. 15. (3.) The Alterations which a long Habit of walking upon two Legs might have produced in Man's body, the Relations still observable between his Arms and the Fore-feet of Quadrupeds, and the Induction drawn from their Manner of walking, might have given Occasion to some Doubts concerning that which must be most natural to us. Children begin by walking upon all Fours, and stand in need of both Precept and Example to hold themselves upright. There are even some savage Nations, for Instance, the Hottentots, who being very careless of their Children permit them to walk so long upon their Hands, that it is with great Difficulty they afterwards bring them to an erect Posture; this is too the Case with the children of the West-Indie Savages. I could produce several Instances of Quadruped Men; among others that of the Child, which was found in 1344 in the Neighbourhood of Hesse, where he had been suckled by Wolves, and who used afterwards to say at the Court of Prince Henry, that had he his Choice, he would much rather take up with their Company again than live among Men. He had contracted the Habit of walking like those Animals to such a Degree, that it was found requisite to load him with Logs of Wood to oblige him to stand upright, and poise himself properly upon his Feet. It was the same thing with the Child, who was found in 1694 in the Forests of Lithuania and lived among Bears. He did not shew, says Monsieur de Condillac, the least Mark of Reason, walked upon Hands and Feet, had no Language but some uncouth Sounds, which had nothing common with those of other Men. The little Hanoverian Savage, which was brought several Years ago to the Court of England, had all the Difficulty in the World to bring himself to walk upon his Legs: And in 1719 two other Savages were found in the Pyrenean Mountains running about them in the Manner of Quadrupeds. As to the Objection, that by walking upon our Hands we should lose the Use of them in many other Respects in which they prove so serviceable to us; not to insist on the Practice of Monkeys, by which it is evident that the Hand may be very well employed both ways, this Argument could only prove, that Man may give his Members a more useful Destination than that assigned them by Nature, and not that Nature has destined Man to walk otherwise than she herself teaches him to walk.
But there are, I imagine, much stronger Reasons to affirm that Man is a Biped. In the first Place, supposing it could be demonstrated that, tho' originally formed otherwise, he might nevertheless become in Time what he now is, would this not be enough to make us conclude that it really happened so? For, after shewing the Possibility of these Changes, it would be still necessary, in order to establish them, to shew at least some Probability of their having really happened. Moreoever, allowing that Man's Arms might have served him as Legs in case of Necessity, it is the only Observation favourable to this System, whereas there are many others which contradict it. The principal are, that the Manner, in which the Head of Man is fixed to his Body, instead of giving his Eyes an horizontal Direction, such as all other Animals have it, and such as he himself has it when walking upright, would have fixed them directly upon the Earth, a Situation very unfavourable to the Preservation of Individuals; that the Tail, which Nature has not given him, and which he has no Occasion for in walking, is useful to Quadrupeds, and that not one of them is found to want it; that the Situation of the Breasts of Women, well adapted to Bipeds which hold their Children in their Arms, would be so inconvenient for Quadrupeds, that not one of them has these Parts placed in that Manner; that, our Legs and Thighs being so excessively long in proportion to the Hands and Arms that when walking on All-fours we are forced to crawl upon our Knees, the whole would have formed an ill-proportioned Animal, and very ill fitted for walking: That if such an Animal lad his Foot as well as his Hand flat on the Earth, he would have in the Hinder-Leg a Joint less than other Animals, namely, that which unites the Canon with the Tibia, and that in standing on the Tip of the Foot, as no doubt he must be obliged to do, the Tarsus, not to insist on its being composed of so many Bones, must have been too large to answer the End of the Canon. And the Articulations with the Metatarsus and Tibia too near each other to afford the Human Leg, in that Situation, the Degree of Flexibility observable in the Legs of Quadrupeds. The Example of Children being drawn from an Age in which our natural Forces are not as yet developed nor our Members confirmed in Strength, concludes nothing; and I might as well affirm that Dogs are not made to walk, because for some Days after their Birth they do no more than crawl. Nor are particular Facts of any great avail against the universal Practice of Mankind, even of those Nations, which as they have no Communication with other Nations, cannot be suspected of having copied after them. A Child deserted in a Forest before he had Strength to walk, and suckled by some Beast, must have followed the Example of his Nurse, and endeavoured to walk like her; Habit might have given him a Facility which he did not receive from Nature; and as a Man who has lost his Hands, brings himself by Dint of Exercise to do with his Feet alone very thing he formerly did with his Hands, so such deserted Child will at length acquire a Facility of employing his Hands in the Work destined for his Feet.
Return to Text
|
(Note 3) Les changements qu'un long usage de marcher sur deux pieds a pu produire dans la conformation de l'homme, les rapports qu'on observe encore entre ses bras et les jambes antérieures des quadrupèdes et l'induction tirée de leur manière de marcher ont pu faire naître des doutes sur celle qui devait nous être la plus naturelle. Tous les enfants commencent par marcher à quatre pieds et ont besoin de notre exemple et de nos leçons pour apprendre à se tenir debout. Il y a même des nations sauvages, telles que les Hottentots qui, négligeant beaucoup les enfants, les laissent marcher sur les mains si longtemps qu'ils ont ensuite bien de la peine à les redresser; autant en font les enfants des Caraïbes des Antilles. Il y a divers exemples d'hommes quadrupèdes et je pourrais entre autres citer celui de cet enfant qui fut trouvé, en 1344, auprès de Hesse où il avait été nourri par des loups et qui disait depuis à la cour du prince Henri que, s'il n'eût tenu qu'à lui, il eût mieux aimé retourner avec eux que de vivre parmi les hommes. Il avait tellement pris l'habitude de marcher comme ces animaux qu'il fallut lui attacher des pièces de bois qui le forçaient à se tenir debout et en équilibre sur ses deux pieds. Il en était de même de l'enfant qu'on trouva en 1694 dans les forêts de Lituanie et qui vivait parmi les ours. Il ne donnait, dit M. de Condillac, aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n'avait aucun langage et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d'un homme. Le petit sauvage d'Hanovre qu'on mena il y a plusieurs années à la cour d'Angleterre, avait toutes les peines du monde à s'assujettir à marcher sur deux pieds et l'on trouva en 1719 deux autres sauvages dans les Pyrénées, qui couraient par les montagnes à la manière des quadrupèdes. Quant à ce qu'on pourrait objecter que c'est se priver de l'usage des mains dont nous tirons tant d'avantages, outre que l'exemple des singes montre que la main peut fort bien être employée des deux manières, cela prouverait seulement que l'homme peut donner à ses membres une destination plus commode que celle de la nature, et non que la nature a destiné l'homme à marcher autrement qu'elle ne lui enseigne.
Mais il y a, ce me semble, de beaucoup meilleures raisons, à dire pour soutenir que l'homme est un bipède. Premièrement quand on ferait voir qu'il a pu d'abord être conformé autrement que nous le voyons et cependant devenir enfin ce qu'il est, ce n'en serait pas assez pour conclure que cela se soit fait ainsi.
Car, après avoir montré la possibilité de ces changements, il faudrait encore, avant que de les admettre, en montrer au moins la vraisemblance. De plus, si les bras de l'homme paraissent avoir pu lui servir de jambes au besoin, c'est la seule observation favorable à ce système, sur un grand nombre d'autres qui lui sont contraires. Les principales sont: que la manière dont la tête de l'homme est attachée à son corps, au lieu de diriger sa vue horizontalement, comme l'ont tous les autres animaux, et comme il l'a lui-même en marchant debout, lui eût tenu, marchant à quatre pieds, les yeux directement fichés vers la terre, situation très peu favorable à la conservation
de l'individu; que la queue qui lui manque, et dont il n'a que faire marchant à deux pieds, est utile aux quadrupèdes, et qu'aucun d'eux n'en est privé; que le sein de la femme, très bien
situé pour un bipède qui tient son enfant dans ses bras, l'est si mal pour un quadrupède que nul ne l'a placé de cette manière; que le train de derrière étant
d'une excessive hauteur à proportion des jambes de devant, ce qui fait que marchant à quatre nous nous traînons sur les genoux, le
tout eût fait un animal mal proportionné et marchant peu commodément; que s'il eût posé le pied à plat ainsi que la main, il aurait eu dans
la jambe postérieure une articulation de moins que les autres animaux, savoir celle qui joint le canon au tibia, et qu'en ne posant que la pointe du pied, comme il aurait sans doute ét´ contraint de faire, le tarse, sans parler de la pluralité des os qui le composent, paraît trop gros pour tenir lieu de canon et ses articulations avec le métatarse et le tibia trop rapprochées pour donner à la jambe humaine dans cette situation la même flexibilité qu'ont celles des quadrupèdes. L'exemple
des enfants étant pris dans un âge où les forces naturelles ne sont point encore développées ni les membres raffermis, ne conclut rien du tout et j'aimerais autant dire que les chiens ne sont pas destinés à marcher, parce qu'ils ne font que ramper quelques semaines après leur naissance. Les faits particuliers ont encore peu de force contre la pratique universelle de tous les hommes, même des nations qui, n'ayant eu aucune communication avec les autres, n'avaient pu rien imiter d'elles. Un enfant abandonné dans une
forêt avant que de pouvoir marcher, et nourri par quelque bête, aura suivi l'exemple de sa nourrice en s'exerçant à marcher comme elle; l'habitude lui aura pu donner des facilités qu'il ne tenait point de la nature; et comme des manchots parviennent à force d'exercice à faire avec leurs pieds tout ce que nous faisons de nos mains, il sera parvenu enfin à employer ses mains à l'usage des pieds.
Retour au texte |
Pag. 17. (4.) Lest any of My Readers should happen to be so littled acquainted with natural Philosophy as to start Difficulties to the Supposition of this natural Fertility of the Earth, I shall endeavour to obviate them by the following Passage. "As Vegetables derive for their Support a great deal more Substance from the Air and Water than from the Earth, so, when they decay, they restore to the Earth more than they received from it; moreover, Forests engross great Quantities of Rain Water by stopping the Vapours that form it. Thus, in Woods that have remained untouched for a long Time, the Layer of Earth, in which the Business of Vegetation is carried on, must have received a considerable Addition. But Animals restoring to the Earth less than they derive from it, and Men consuming enormous Quantities of Vegetables for firing and other Purposes, it follows that the Layer of vegetating Earth, in well peopled Countries, must be constantly on the Decline, and become at last like the Surface of Arabia Petrea, and so many other Provinces of the East, (which in Fact is the Part of the World that was earliest inhabited) where nothing but Salt and Sand is to be found at present; for the fixed Salt of Plants and Animals stays behind, while all the other Parts become volatile, and fly off." Mr. de Buffon, Hist. Nat. This Theory may be confirmed by Facts, namely the great Quantity of Trees and Plants of every Kind, which covered all the desert Islands discovered in the latter Centuries, and by the immense Forests History informs us it was requisite to cut down in all Parts of the world, in proportion as they became better inhabited, and the Inhabitants became more civilized. Upon which I must add the three following Remarks. One is, that if there are any Vegetables capable of replacing the vegetable Matter consumed by Animals, according to Monsieur Buffon, they must be those Trees whose Leaves and Branches collect and appropriate to themselves the greatest Quantity of Water and Vapour. The Second, that the Destruction of the Soil, that is to say, the Loss of Substance fit for Vegetation, cannot but increase in proportion as the Earth is cultivated, and as the Inhabitants, become more industrious, consume its Productions of every Kind in greater Quantities. My third and most important Remark is, that the Fruits of Trees afford Animals a more plentiful Nourishment than they can expect from other Vegetables. This I know by my own Experience, having compared the Produce of two Pieces of Land of equal Area and Quality, one sowed with Wheat, and the other planted with Chestnut Trees.
Return to Text |
(Note 4) S'il se trouvait parmi mes lecteurs quelque assez mauvais physicien pour me faire des difficultés sur la supposition de cette fertilité naturelle de la terre, je vais lui répondre par le passage suivant:
"Comme les végétaux tirent pour leur nourriture beaucoup plus de substance de l'air et de l'eau qu'ils n'en tirent de la terre, il arrive qu'en pourrissant ils rendent à la terre plus qu'ils n'en ont tiré; d'ailleurs
une forêt étermine les eaux de la pluie en arrêtant les vapeurs. Ainsi dans un bois que l'on conserverait bien longtemps sans y toucher, la couche de terre qui sert à la végétation augmenterait considérablement; mais les animaux rendant moins à la terre qu'ils n'en tirent, et les hommes faisant des consommations énormes de bois et de plantes pour le feu et pour d'autres usages, il s'ensuit que la couche de terre végétale d'un pays habité doit toujours diminuer et devenir enfin comme le terrain de l'Arabie Pétrée, et comme celui de tant d'autres provinces de l'Orient, qui est en effet le climat le plus anciennement habité où l'on ne trouve que du sel et des sables, car le sel fixe des plantes et des animaux reste, tandis que toutes les autres parties se volatilisent." M. de Buffon, Hist. Nat.
On peut ajouter à cela la preuve de fait par la quantité d'arbres et de plantes de toute espèce, dont étaient remplies presque toutes les îles désertes qui ont été découvertes dans ces derniers siècles, et par ce que l'Histoire
nous apprend des forêts immenses qu'il a fallu abattre par toute la terre à mesure qu'elle s'est peuplée et policée. Sur quoi je ferai encore les trois remarques suivantes. L'une que s'il y a une sorte de végétaux qui puissent compenser la déperdition de matière végétale qui se fait par les animaux, selon le raisonnement de M. de Buffon, ce sont surtout les bois, dont les têtes et les feuilles rassemblent et s'approprient plus d'eaux et de vapeurs que ne font les autres plantes. La seconde, que la destruction du sol, c'est-à-dire la perte de la substance propre à la végétation doit s'accélérer à proportion que la terre est plus cultivé et que les habitants plus industrieux consomment en plus grande abondance ses productions de toute espèce. Ma troisième et plus importante remarque est que les fruits des arbres fournissent à l'animal une nourriture plus abondante que ne peuvent faire les autres végétaux, expérience que j'ai faite moi-même, en comparant les produits de deux terrains égaux en grandeur et en qualité, l'un couvert de châtaigniers et l'autre semé de blé.
Retour au texte |
Pag. 18. (5.) Among Quadrupeds, the two most universal Distinctions of the carnivorous Tribes are deduced, one from the Figure of the Teeth, and the other from the Conformation of the Intestines. The Animals, who live upon Vegetables, have all of them blunt Teeth, like the Horse, the Ox, the Sheep, the Hare; but the carnivorous Animals have them sharp, like the Cat, the Dog, the Wolf, the Fox. And as to the Intestines, the frugivorous have some, such as the Colon, which are not to be found in the carnivorous Animals. It seems, therefore, that Man, having Teeth and Intestines like those of frugivorous Animals, should naturally be ranked in that Class; and not only anatomical Observations confirm this Opinion, but the Monuments of Antiquity greatly favour it. "Dicearchus, says St. Jerom, related in his Books of Grecian Antiquities, that under the Reign of Saturn, when the Earth was still fertile of itself, no one eat Flesh, but all lived upon Fruits and other Vegetables, which the Earth naturally produced." (Lib. 2. Adv. Jovinian.) By this it will appear, that I give up a great many Advantages of which I might wavail myself. For their Prey being almost the only Subject of Quarrel between carnivorous Animals, and the frugivorous living together in perpetual Peace and Harmony, were Men of this last kind, it is evident they would find it much more easy to subsist in a State of Nature, and have much fewer Calls and Occasions to leave it.
Return to Text |
(Note 5) Parmi les quadrupèdes, les deux distinctions les plus universelles des espèces voraces se tirent, l'une de la figure des dents, et l'autre de la conformation des intestins. Les animaux qui ne vivent que de végétaux ont tous les dents plates, comme le cheval, le boeuf, le mouton, le lièvre, mais les voraces les ont pointues, comme le chat, le chien, le loup, le renard. Et quant aux intestins, les frugivores en ont quelques-uns, tels que le côlon, qui ne se trouvent pas dans les animaux voraces. Il
semble donc que l'homme, ayant les dents et les intestins comme les ont les animaux frugivores, devrait naturellement être rangé dans cette classe, et non seulement les observations anatomiques confirment cette opinion: mais les monuments de l'antiquité y sont encore trè favorables. "Dicéarque, dit saint Jérôme, rapporte dans ses Livres des antiquité grecques que sous le règne de
Saturne, où la terre était encore fertile par elle-même, nul homme ne mangeait de chair, mais que tous vivaient des fruits et des légumes qui croissaient naturellement." (Lib. 2, Adv. Jovinian.) On peut voir par là que je néglige bien des avantages que je pourrais faire valoir. Car la proie étant presque l'unique sujet de combat entre les animaux carnassiers, et les frugivores vivant entre eux dans une paix continuelle, si l'espèce humaine était de ce dernier genre, il est clair qu'elle aurait eu beaucoup plus de facilité à subsister dans l'état de nature, beaucoup moins de besoin et d'occasions d'en sortir.
Retour au texte |
Pag. 20.
(6.) All those Branches of Knowledge, that require Reflection, are not to be attained but by a Chain of Ideas, and can only be brought to Perfection one after another, seem to be altogether beyond the Reach of savage Man, for Want of Communication with his Fellows, that is to say, for Want of an Instrument where-with to form this Communication, and of Calls to render it necessary. All his Knowledge and Industry consists in leaping, running, fighting, throwing a Stone, climbing a Tree. But, if on the one hand he can do nothing else, he can on the other do all these Things much better than we can, who are much less beholden to such Exercises. And as Skill and Desterity in such Exercises depends entirely on Practice, and can neither be communicated or handed down from one Individual to another, the first Man might have been every whit as expert at them as the last of his Descendents. The Relations of Travellers abound with Examples of the Strength and Vigour of Men in barbarous and savage Countries; they almost equally extol their Nimbleness and Desterity; and as Eyes alone are sufficient to make such Observations, we may safely give Credit upon these Occasions to ocular Witnesses. I shall extract at random some Examples from the first Books that come in my way. "The Hottentots, says Kolben, are better Fishermen than the Europeans of the Cape. They use the Net, the Hook and the Dart, with equal Dexterity, in the Creeks on the Sea Shore and in their Rivers. They are no less expert at taking Fish with their Hands. In swimming nothing can compare with them. Their Manner of swimming has something very surprising in it, and quite peculiar to them. They swim erect with their Hands above Water, so that they seem to walk upon dry Land. In the most mountainous Seas they dance in a Manner on the Backs of the Waves, ascending and descending like a Piece of Cork." The Hottentots, the same Author tells us in another Place, are surprisingly dexterous at Hunting, and their Nimbleness at Tunning is altogether inconceiveable; and he is astonished that they do not oftener make a bad Use of their Agility; for they do it sometimes, as we may see by the following Story. "A Dutch Sailor, on his coming ashore at the Cape, ordered a Hottentot to follow him to Town with a Roll of Tobacco of about twenty Pounds Weight. When they had got to some Distance from the rest of the Company, the Hottentot asked the Sailor, Did he run well? Run well! answered the Dutchman, yes, very well. Let's see, replied the African; and scampering away with the Tobacco, he was the next Moment out of Sight. The Sailor, struck with Amazement at the surprising Fleetness of the Savage, was too wise to think of pursuing him, and nver saw either his Tobacco or his Porter again." "Their Sight is so quick, and their Aim with the Hand so sure, that the Europeans greatly fall short of them in these Respects. At a hundred Paces Distance they will hit you with a Stone a Mark no bigger than a Half-penny; and what is still more surprising, instead of fixing their Eyes upon it, they are all the Time running to and fro, and writhing their Bodies. One would be apt to think that their Stone was carried by an invisible Hand." Father du Tertre says pretty much the same Thing of the West-India Savages, that we have been reading from Kolben of the Hottentots of the Cape of Good Hope: He above all cries up their Dexterity in shooting with their Arrows Birds flying, and Fishes swimming, which they afterwards take by diving for them. The North America Savages are no less famous for their Strength and Dexterity: And the following Story may help to give us an Idea of these Qualities in the South America Indians. In the Year 1746, an Indian of Buenos Ayres having been condemned to the Gallies at Cadiz, proposed to the Governor to purchase his Liberty by exposing his Life at a public Festival. He engaged to attack by himself the most furious Bull without any Weapon but a Rope, to bring him to the Ground, seize with his Rope such Part of him as he should be ordered, saddle him, bridle him, and then mounted on his Back fight two more of the most furious Bulls in the Torillo, and kill them both one after another, the Moment he should be commanded so to do, and all this without any Manner of Assistance. The Governor having accepted these Terms, the Indian was as good as his Word, and performed everything he had promised. For the way he went about, and the Particulars of so extraordinary and Engagement, the Reader may consult the First Volume of Observations on Natural History by Mr. Gautier, from whom I have borrowed this Account. Page xxx.
Return to Text |
(Note 6) Toutes les connaissances qui demandent de la réflexion, toutes celles qui ne s'acquièrent que par l'enchaînement des idées et ne se perfectionnent que successivement, semblent être tout à fait hors de la portée de l'homme sauvage, faute de communication avec ses semblables, c'est-à-dire faute de l'instrument qui sert à cette communication et des besoins qui la rendent nécessaire. Son savoir et son industrie se bornent à sauter, courir, se battre, lancer une pierre, escalader un arbre. Mais s'il ne fait que ces choses, en revanche il les fait beaucoup mieux que nous, qui n'en avons pas le même besoin que lui; et comme elles dépendent uniquement de l'exercice du corps et ne sont susceptibles d'aucune communication ni d'aucun progrès d'un individu à l'autre, le premier homme a pu y être tout aussi habile que ses derniers descendants.
Les relations des voyageurs sont pleines d'exemples de la force et de la vigueur des hommes chez les nations barbares et sauvages; elles ne vantent guère moins leur adresse et leur légèreté; et comme il ne faut que des yeux pour observer ces choses, rien n'empêche qu'on n'ajoute foi à ce que certifient là-dessus des témoins oculaires, j'en tire au hasard quelques exemples des premiers livres qui me tombent sous la main.
"Les Hottentots, dit Kolben, entendent mieux la pêche que les Européens du Cap. Leur habileté est égale au filet, à l'hameçon et au dard, dans les anses comme dans les rivières. Ils ne prennent pas moins habilement le poisson avec la main. Ils sont d'une adresse incomparable à la nage. Leur manière de nager a quelque chose de surprenant et qui leur est tout à fait propre. Ils nagent le corps droit et les mains étendues hors de l'eau, de sorte qu'ils paraissent marcher sur la terre. Dans la plus grande agitation de la mer et lorsque les flots forment autant de montagnes, ils dansent en quelque sorte sur le dos des vagues, montant et descendant comme un morceau de liège."
"Les Hottentots, dit encore le même auteur, sont d'une adresse surprenante à la chasse, et la légèreté leur course passe l'imagination." Il s'étonne qu'ils ne fassent pas plus souvent un mauvais usage de leur agilité ce qui leur arrive pourtant quelquefois, comme on peut juger par l'exemple qu'il en donne: "Un matelot hollandais en débarquant au Cap chargea, dit-il, un Hottentot de le suivre à la ville avec un rouleau de tabac d'environ vingt livres. Lorsqu'ils furent tous deux à quelque distance de la troupe, le Hottentot demanda au matelot s'il savait courir. Courir! répond le Hollandais, oui, fort bien. Voyons, reprit l'Africain, et fuyant avec le tabac il disparut presque aussitôt. Le matelot confondu de cette merveilleuse vitesse ne pensa point à le poursuivre et ne revit jamais ni son tabac ni son porteur.
Ils ont la vue si prompte et la main si certaine que les Européens n'en approchent point. A cent pas, ils toucheront d'un coup de pierre une marque de la grandeur d'un demi-sol et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'au lieu de fixer comme nous les yeux sur le but, ils font des mouvements et des contorsions continuelles. Il semble que leur pierre soit portée par une main invisible."
Le P. du Tertre dit à peu près sur les sauvages des Antilles les mêmes choses qu'on vient de lire sur les Hottentots du cap de Bonne-Espérance. Il vante surtout leur justesse à tirer avec leurs flèches les oiseaux au vol et les poissons à la nage, qu'ils prennent ensuite en plongeant. Les sauvages de l'Amérique septentrionale ne sont pas moins célèbres par leur force et leur adresse, et voici un exemple qui pourra faire juger de celles des Indiens de l'Amérique méridionale.
En l'année 1746, un Indien de Buenos Aires, ayant été condamné aux galères à Cadix, proposa au gouverneur de racheter sa liberté en exposant sa vie dans une fête publique. Il promit qu'il attaquerait seul le plus furieux taureau sans autre arme en main qu'une corde, qu'il le terrasserait, qu'il le saisirait avec sa corde par telle partie qu'on indiquerait, qu'il le sellerait, le briderait, le monterait, et combattrait, ainsi monté deux autres taureaux des plus furieux qu'on ferait sortir du torillo et qu'il les mettrait tous à mort l'un après l'autre, dans l'instant qu'on le lui commanderait et sans le secours de personne; ce qui lui fut accordé. L'Indien tint parole et réussit dans tout ce qu'il avait promis; sur la manière dont il s'y prit et sur tout le détail du combat, on peut consulter le premier tome in-12 des Observations sur l'Histoire naturelle de M. Gautier, d'où ce fait est tiré, page 262.
Retour au texte |
Pag. 25. (7.) "The Length of Life in Horses, says Monsieur de Buffon, is, as in every other Species of Animals, proportionable to the length of their growing State. Man, who is fourteen Years growing, may live six or seven times as long, that is, Ninety or a Hundred Years: The Horse, whose Growth is performed in four Years, may live six or seven times as long, that is five and twenty or thirty Years. The Instances of Deviations from this Rule are so few, that they ought not to be considered as an Exception from which any Consequences can be drawn; and as large Horses reach their full Size in a much shorter Times than those of a delicate Make, so they are shorter lived, and old even at Fifteen."
Return to Text |
(Note 7) "La durée de la vie des chevaux, dit M. de Buffon, est comme dans toutes les autres espèces d'animaux proportionnée à la durée du temps de leur accroissement. L'homme, qui est quatorze ans à croî;tre, peut vivre six ou sept fois autant de temps, c'est-à-dire quatre-vingt-dix ou cent ans, le cheval, dont l'accroissement se fait en quatre ans, peut vivre six ou sept fois autant, c'est-à-dire vingt-cinq ou trente ans. Les exemples qui pourraient être contraires à cette règle sont si rares qu'on ne doit pas même les regarder comme une exception dont on puisse tirer des conséquences; et comme les gros chevaux prennent leur accroissement en moins de temps que les chevaux fins, ils vivent aussi moins de temps et sont vieux dès l'âge de quinze ans."
Retour au texte |
Pag. 25.
(8.) Methinks I see between carniverous and frugivorous Animals another Difference still more general than that laid down in the Note (5.) since it extends even to Birds. This Difference consists in the Number of their Young, which never exceeds two at a Litter with those kinds that live upon Vegetables, but is generally greater with those of Prey. It is no hard Matter to guess the Intentions of Nature in this Respect by the Number of Teats, which is never more than two in Females of the first kind, as the Mare, the Cow, the She-Goat, the Doe, the Sheep, &c. and always six or eight in the other Females, as the Bitch, the She-Cat, the She-Wolf, the Tygress, &c. The Hen, the Goose, the Duck, which are all carnivorous Birds, as likewise the Eagle, the Sparrow-Hawk, the Owl, do likewise lay and hatch a great Number of Eggs, a Thing never known of the Pigeon, the Dove, or other Birds, which touch nothing but Grain. These seldom lay and hatch more than two Eggs at a Time. The best Reason, that can be given for this Difference, is that the Animals, who live entirely on Herbs and Plants, being obliged to spend the best Part of the Day in foraging for themselves, and requiring a great deal of Time to take their Food, it would be impossible for them to suckle many young ones; whereas those of Prey, making their Meal in a Moment or two, may oftener and more easily go and come between their Young and their Prey, and repair the Expence of so great a Quantity of Milk. I could make a great many other Observations and Reflections upon this Head, but this is not a Place for them; and it is sufficient for my Purpose that I have in this Part pointed out the most general System of Nature, a System which affords a new Reason for removing Man from the Class of carnivorous into that of frugivorous Animals.
Return to Text |
(Note 8) Je crois voir entre les animaux carnassiers et les frugivores une autre différence encore plus générale que celle que j'ai remarquée dans la note de la page 163 puisque celle-ci s'étend jusqu'aux oiseaux. Cette différence consiste dans le nombre des petits, qui n'excède jamais deux à chaque portée, pour les espèces qui ne vivent que de végétaux et qui va ordinairement au-delà de ce nombre pour les animaux voraces. Il est aisé de connanaître à cet égard la destination de la nature par le nombre des mamelles, qui n'est que de deux dans chaque femelle de la première espèce, comme la jument, la vache, la chèvre, la biche, la brebis, etc., et qui est toujours de six ou de huit dans les autres femelles comme la chienne, la chatte, la louve, la tigresse, etc. La poule, l'oie, la cane, qui sont toutes des oiseaux voraces ainsi que l'aigle, l'épervier, la chouette, pondent aussi et couvent un grand nombre d'oeufs, ce qui n'arrive jamais à la colombe, à la tourterelle ni aux oiseaux, qui ne mangent absolument que du grain, lesquels ne pondent et ne couvent guère que deux oeufs à la fois. La raison qu'on peut donner de cette différence est que les animaux qui ne vivent que d'herbes et de plantes, demeurant presque tout le jour à la pâture et étant forcés d'employer beaucoup de temps à se nourrir, ne pourraient suffire à allaiter plusieurs petits, au lieu que les voraces faisant leur repas presque en un instant peuvent plus aisément et plus souvent retourner à leurs petits et à leur chasse et réparer la dissipation d'une si grande quantité de lait. Il y aurait à tout ceci bien des observations particulières et des réflexions à faire; mais ce n'en est pas ici le lieu et il me suffit d'avoir montré dans cette partie le système le plus général de la nature, système qui fournit une nouvelle raison de tirer l'homme de la classe des animaux carnassiers et de le ranger parmi les espèces frugivores.
Retour au texte |
|
book@petruscamper.com
[ home ]
[ reviews ] [ texts ] [ projects ] [ order ] [ sitemap ]
Miriam Claude Meijer, Ph.D. © All Rights Reserved
|