|
us know what they meant by the Word
belong; others, without further Ceremony ascribing to the strongest
an Authority over the weakest, have immediately struck out Government,
without thinking of the Time requisite for Men to form any Notion of the
Things signified by the Words Authority and Government. All of them, in
fine, constantly harping on Wants, Avidity, Oppression, Desires and Pride,
have transferred to the state of Nature Ideas picked up in the bosom of
Society. In speaking of Savages they described Citizens. Nay, few of our
own Writers seem to have so much as doubted, that a State of Nature did
once actually exist; tho' it plainly appears by Sacred History, that even
the first Man, immediately furnithed as he was by God himself with both
Instructions and Precepts, never lived in that State, and that, if we give
to the Books of Moses that Credit which every Christian Philosopher
ought to give to
them, |
Enfin tous, parlant sans cesse de besoin,
d'avidité, d'oppression, de désirs et d'orgueil, ont transporté à l'état
de nature des idées qu'ils avaient prises dans la société. Ils parlaient
de l'homme sauvage, et ils peignaient l'homme civil. Il n'est pas même
venu dans l'esprit de la plupart des nôtres de douter que l'état de nature
eût existé, tandis qu'il est évident, par la lecture des Livres Sacrés,
que le premier homme, ayant reçu immédiatement de Dieu des lumières et des
préceptes, n'était point lui-même dans cet état, et qu'en ajoutant aux
écrits de Moïse la foi que leur doit tout philosophe chrétien, il faut
nier que, même avant le déluge, les hommes se soient jamais trouvés dans
le pur état de nature, à moins qu'ils n'y soient retombés par quelque
événement extraordinaire. Paradoxe fort embarrassant à défendre, et tout à
fait impossible à prouver.
Suivantes |
them, we must deny that, even before the
Deluge, such a State ever existed among Men, unless they fell into it by
some extraordinary Event: a Paradox very difficult to maintain, and
altogether impossible to prove. Let us
begin therefore, by laying aside Facts, for they do not affect the
Question. The Researches, in which we may engage on this Occasion, are not
to be taken for Historical Truths, but merely as hypothetical and
conditional Reasonings, fitter to illustrate the Nature of Things, than to
show their true Origin, like those Systems, which our Naturalists daily
make of the Formation of the world. Religion commands us to believe, that
Men, having been drawn by God himself out of a State of Nature, are
unequal, because it is his Pleasure they should be so; but Religion does
not forbid us to draw Conjectures solely from the
Nature |
Commençons donc par écarter tous les faits, car
ils ne touchent point à la question. Il ne faut pas prendre les
recherches, dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités
historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et
conditionnels; plus propres à éclaircir la nature des choses qu'à en
montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours
nos physiciens sur la formation du monde. La religion nous ordonne de
croire que Dieu lui-même ayant tiré les hommes de l'état de nature,
immédiatement après la création, ils sont inégaux parce qu'il a voulu
qu'ils le fussent; mais elle ne nous défend pas de former des conjectures
tirées de la seule nature de l'homme et des êtres qui l'environnent, sur
ce qu'aurait pu devenir le genre humain, s'il fût resté abandonné à
lui-même.
Suivantes |
Nature of Man, considered in itself, and from
that of the Beings which surround him, concerning the Fate of Mankind, had
they been left to themselves. This is then the Question I am to answer,
the Question I propose to examine in the present Discourse. As Mankind in
general have an Interest in my subject, I shall endeavour to use a
Language suitable to all Nations; or rather, forgetting the Circumstances
of Time and Place in order to think of nothing but the Men I speak to, I
shall suppose myself in the Lyceum of Athens, repeating the
Lessons of my Masters before the Platos and the Xenocrateses
of that famous Seat of Philosophy as my Judges, and in presence of the
whole Human Species as my Audience. O
Man, whatever Country you may belong to, whatever your Opinions may be,
attend to my Words; you shall hear your History such as I think I have
read |
Voilà ce qu'on me demande, et ce que je me
propose d'examiner dans ce Discours. Mon sujet intéressant l'homme en
général, je tâcherai de prendre un langage qui convienne à toutes les
nations; ou plutôt, oubliant les temps et les lieux pour ne songer qu'aux
hommes à qui je parle, je me supposerai dans le lycée d'Athènes, répétant
les leçons de mes maîtres, ayant les Platons et les Xénocrates pour juges,
et le genre humain pour auditeur.
Suivantes |
read it, not in Books composed by those like
you, for they are liars, but in the Book of Nature which never lies. All
that I shall repeat after her, must be true, without any Intermixture of
Falsehood, but where I may happen, without intending it, to introduce my
own Conceits. The Times I am going to speak of, are very remote. How much
you are changed from what you once was! 'Tis in a manner the Life of your
Species that I am going to write, from the Qualities which you have
received, and which your Education and your Habits could deprave, but
could not destroy. There is, I am sensible, an Age at which every
Individual of you would choose to stop; and you will look out for the Age
at which, had you your wish, your Species had stopt. Uneasy at your
present Condition for Reasons which threaten your unhappy Posterity with
still greater
Uneasyness, |
O homme, de quelque contrée que tu sois,
quelles que soient tes opinions, écoute. Voici ton histoire, telle que
j'ai cru la lire, non dans les livres de tes semblables qui sont menteurs,
mais dans la nature qui ne ment jamais. Tout ce qui sera d'elle sera vrai.
Il n'y aura de faux que ce que j'y aurai mêlé du mien, sans le vouloir.
Les temps dont je vais parler sont bien éloignés. Combien tu as changé de
ce que tu étais! C'est pour ainsi dire la vie de ton espèce que je te vais
décrire d'après les qualités que tu as reçues, que ton éducation et tes
habitudes ont pu dépraver, mais qu'elles n'ont pu détruire. Il y a, je le
sens, un âge auquel l'homme individuel voudrait s'arrêter; tu chercheras
l'âge auquel tu désirerais que ton espèce se fût arrêtée.
Suivantes |
Uneasyness, you will perhaps wish it were in
your Power to go back; and this Sentiment ought to be considered, as the
Panegyrick of your first Parents, the Condemnation of your Cotemporaries
[sic], and a Source of Terror to all those, who may have the
Misfortune of succeeding you.
DISCOURSE. |
Mécontent de ton état présent, par des raisons
qui annoncent à ta postérité malheureuse de plus grands mécontentements
encore, peut-être voudrais-tu pouvoir rétrograder; et ce sentiment doit
faire l'éloge de tes premiers aïeux, la critique de tes contemporains, et
l'effroi de ceux qui auront le malheur de vivre après toi.
Suivantes |
D I S C O U R S E.
FIRST PART.
However important it may be, in order to form a proper
Judgment of the natural State of Man, to consider him from his Origin, and
to examine him, as it were, in the first Embroy of the Species; I shall
not attempt to trace his Organization thro' its successive Approaches to
Perfection: I shall not stop to examine in the animal System what he might
have been in the beginning, to become at last what he actually is; I shall
not inquire, whether, as Aristotle thinks, his neglected Nails were no
better at first than crooked Talons; whether his whole body was not, Bear
like, thick covered with rough Hair; and whether, walking upon all-fours,
(3)
his Eyes directed to the Earth, and confined to a
Horizon |
PREMIERE PARTIE Quelque important qu'il soit,
pour bien juger de l'état naturel de l'homme, de le considérer dès son
origine, et de l'examiner, pour ainsi dire, dans le premier embryon de
l'espèce; je ne suivrai point son organisation à travers ses
développements successifs. Je ne m'arrêterai pas à rechercher dans le
système animal ce qu'il put être au commencement, pour devenir enfin ce
qu'il est; je n'examinerai pas si, comme le pense Aristote, ses ongles
allongés ne furent point d'abord des griffes crochues; s'il n'était point
velu comme un ours, et si marchant à quatre pieds (Note 3), ses regards
dirigés vers la terre, et bornés à un horizon de quelques pas, ne
marquaient point à la fois le caractère, et les limites de ses idées.
Suivantes
|
Horizon of a few Paces Extent, did not at once
point out the Nature and Limits of his Ideas. I could only form vague, and
almost imaginary, Conjectures on this Subject. Comparative Anatomy has not
as yet been sufficiently improved; neither have the Observations of
Natural Philosophy been sufficiently ascertained, to establish upon such
Foundations the Basis of a solid System. For this Reason, without having
recourse to the Supernatural Informations with which we have been favoured
on this Head, or paying any Attention to the Changes, that must have
happened in the Conformation of the interior and exterior Parts of Man's
Body, in proportion as he applied his Members to new Purposes, and took to
new Aliments, I shall suppose his conformation to have always been, what
we now behold it; that he always walked on two Feet, made the same use of
his Hands that we do of ours, extended his looks over the whole
Face |
Je ne pourrais former sur ce sujet que des
conjectures vagues, et presque imaginaires. L'anatomie comparée a fait
encore trop peu de progrès, les observations des naturalistes sont encore
trop incertaines, pour qu'on puisse établir sur de pareils fondements la
base d'un raisonnement solide; ainsi, sans avoir recours aux connaissances
surnaturelles que nous avons sur ce point, et sans avoir égard aux
changements qui ont dû survenir dans la conformation, tant intérieure
qu'extérieure, de l'homme, à mesure qu'il appliquait ses membres à de
nouveaux usages, et qu'il se nourrissait de nouveaux aliments, je le
supposerai conforme de tous temps, comme je le vois aujourd'hui, marchant
à deux pieds, se servant de ses mains comme nous faisons des nôtres,
portant ses regards sur toute la nature, et mesurant des yeux la vaste
étendue du ciel.
Suivantes |
Face of Nature, and measured with his Eyes the
vast Extent of the Heavens. If I strip
this Being, thus constituted, of all the supernatural Gifts which he may
have received, and of all the artificial Faculties, which he could not
have acquired but by slow Degrees; if I consider him, in a word, such as
he must have issued from the Hands of Nature; I see an Animal less strong
than some, and less active than others, but, upon the whole, the most
advantageously organized of any: I see him satisfying the calls of Hunger
under the first Oak, and those of Thirst at the first Rivulet; I see him
laying himself down to sleep at the Foot of the same Tree, that afforded
him his Meal; and behold, this done, all his Wants are completely
supplied. The Earth left to its own
natural Fertility (4)
and covered with immense Woods, that
no |
En dépouillant cet être, ainsi constitué, de tous
les dons surnaturels qu'il a pu recevoir, et de toutes les facultés
artificielles qu'il n'a pu acquérir que par de longs progrès; en le
considérant, en un mot, tel qu'il a dû sortir des mains de la nature, je
vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais, à
tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous. Je le vois se
rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son
lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins
satisfaits.
La terre abandonnée à sa fertilité naturelle
(Note 4), et couverte de
forêts immenses que la cognée ne mutila jamais, offre à chaque pas des
magasins et des retraites aux animaux de toute espèce. Suivantes |
no Hatchet ever disfigured, offers at every
Step Food and Shelter to every Species of Animals. Men, dispersed among
them, observe and imitate their Industry, and thus rise to the instinct of
Beasts; with this Advantage, that, whereas every Species of Beasts is
confined to one peculiar Instinct, Man, who perhaps has not any that
particularly belongs to him, appropriates to himself those of all other
Animals, and lives equally upon most of the different Aliments, (5)
which they only divide among themselves; a circumstance which qualifies
him to find his Subsistence, with more Ease than any of them.
Men, accustomed from their Infancy to the
Inclemency of the Weather, and to the Rigour of the different Seasons;
inured to Fatigue, and obliged to defend, naked and without Arms, their
Life and their Prey against the other wild Inhabitants of the Forest, or
at least to avoid their
Fury |
Les hommes dispersés parmi eux observent, imitent
leur industrie, et s'élèvent ainsi jusqu'à l'instinct des bêtes, avec cet
avantage que chaque espèce n'a que le sien propre, et que l'homme n'en
ayant peut-être aucun qui lui appartienne, se les approprie tous, se
nourrit également de la plupart des aliments divers (Note 5) que les
autres animaux se partagent, et trouve par conséquent sa subsistance plus
aisément que ne peut faire aucun d'eux.
Suivantes |
Fury by flight, acquire a robust and almost unalterable
Habit of Body; the Children, bringing with them into the World the
excellent Constitution of their Parents, and strengthening it by the same
Exercises that first produced it, attain by this Means all the Vigour that
the human Frame is capable of. Nature treats them exactly in the same
Manner that Sparta treated the Children of her Citizens; those who
come well formed into the World she renders strong and robust, and
destroys all the rest; differing in this Respect from our societies, in
which the State, by permitting Children to become burthensome to their
Parents, murders them all without Distinction, even in the Wombs of their
Mothers. The Body, being the only
Instrument that savage Man is acquainted with, he employs it to different
Uses, of which ours, for Want of Practice, are
incapable; |
Accoutumés dès l'enfance aux intempéries de
l'air, et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de
défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes
féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un
tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au
monde l'excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant par les
mêmes exercices qui l'ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont
l'espèce humaine est capable. La nature en use précisément avec eux comme
la loi de Sparte avec les enfants des citoyens; elle rend forts et
robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres;
différente en cela de nos sociétés, où l'Etat, en rendant les enfants
onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance.
Suivantes |
incapable; and we may thank our Industry for
the loss of that Strength and Agility, which Necessity obliges him to
acquire. Had he a Hatchet, would his Hand so easily snap off from an Oak
so stout a Branch? Had he a Sling, would it dart a Stone to so great a
Distance? Had he a Ladder, would he run so nimbly up a Tree? Had he a
Horse, would he with such Swiftness shoot along the Plain? Give civilized
Man but Time to gather about him all his Machines, and no doubt he will be
an Overmatch for the Savage: but if you have a mind to see a Contest still
more unequal, place them naked and unarmed one opposite to the other; and
you will soon discover the Advantage there is in perpetually having all
our Forces at our Disposal, in being constantly prepared against all
Events, and in always carrying ourselves, as it were, whole and entire
about us.
(6) Hobbes
would have it that Man is
naturally |
Le corps de l'homme sauvage étant le seul
instrument qu'il connaisse, il l'emploie à divers usages, dont, par le
défaut d'exercice, les nôtres sont incapables, et c'est notre industrie
qui nous ôte la force et l'agilité que la nécessité l'oblige d'acquérir.
S'il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches?
S'il avait eu une fronde, lancerait-il de la main une pierre avec tant de
raideur? S'il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur un
arbre? S'il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course? Laissez à
l'homme civilisé le temps de rassembler toutes ses machines autour de lui,
on ne peut douter qu'il ne surmonte facilement l'homme sauvage; mais si
vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les nus et désarmés
vis-à-vis l'un de l'autre, et vous reconnaîtrez bientôt quel est
l'avantage d'avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d'être
toujours prêt à tout événement, et de se porter, pour ainsi dire, toujours
tout entier avec soi (Note 6).
Suivantes |
naturally void of fear, and always intent upon attacking
and fighting. An illustrious Philosopher thinks on the contrary, and
Cumberland and Puffendorff likewise affirm it, that nothing
is more fearful than Man in a State of Nature, that he is always in a
tremble, and ready to fly at the first Motion he perceives, at the first
Noise that strikes his Ears. This, indeed, may be very true in regard to
Objects with which he is not acquainted; and I make no doubt of his being
terrified at every new sight that presents itself, as often as he cannot
distinguish the Physical Good and Evil which he may expect from it, nor
compare his Forces with the Dangers he has to encounter; Circumstances,
that seldom occur in a State of Nature, where all Things proceed in so
uniform a Manner, and the Face of the Earth is not liable to those sudden
and continual Changes occasioned in it by the Passions and Inconstancies
of collected Bodies. But
savage |
Hobbes prétend que l'homme est naturellement
intrépide, et ne cherche qu'à attaquer, et combattre. Un philosophe
illustre pense au contraire, et Cumberland et Pufendorff l'assurent aussi,
que rien n'est si timide que l'homme dans l'état de nature, et qu'il est
toujours tremblant, et prêt à fuir au moindre bruit qui le frappe, au
moindre mouvement qu'il aperçoit. Cela peut être ainsi pour les objets
qu'il ne connaît pas, et je ne doute point qu'il ne soit effrayé par tous
les nouveaux spectacles qui s'offrent à lui, toutes les fois qu'il ne peut
distinguer le bien et le mal physiques qu'il en doit attendre, ni comparer
ses forces avec les dangers qu'il a à courir; circonstances rares dans
l'état de nature, où toutes choses marchent d'une manière si uniforme, et
où la face de la terre n'est point sujette à ces changements brusques et
continuels, qu'y causent les passions et l'inconstance des peuples réunis.
Suivantes
|
savage Man living among other Animals without
any Society or fixed Habitation, and finding himself early under a
Necessity of measuring his Strength with theirs, soon makes a Comparison
between both, and finding that he surpasses them more in Address, than
they surpass him in Strength, he learns not to be any longer in dread of
them. Turn out a Bear or a Wolf against a sturdy, active, resolute Savage,
(and this they all are,) provided with Stones and a good Stick; and you
will soon find that the Danger is at least equal on both Sides, and that
after several Trials of this Kind, wild Beasts, who are not fond of
attacking each other, will not be very fond of attacking Man, whom they
have found every whit as wild as themselves. As to Animals who have really
more Strength than Man has Address, he is, in regard to them, what other
weaker Species are, who find Means to subsist
notwithstanding; |
Mais l'homme sauvage vivant dispersé parmi les
animaux, et se trouvant de bonne heure dans le cas de se mesurer avec eux,
il en fait bientôt la comparaison, et sentant qu'il les surpasse plus en
adresse qu'ils ne le surpassent en force, il apprend à ne les plus
craindre. Mettez un ours, ou un loup aux prises avec un sauvage robuste;
agile, courageux comme ils sont tous, armé de pierres, et d'un bon bâton,
et vous verrez que le péril sera tout au moins réciproque, et qu'après
plusieurs expériences pareilles, les bêtes féroces, qui n'aiment point à
s'attaquer l'une à l'autre, s'attaqueront peu volontiers à l'homme,
qu'elles auront trouvé tout aussi féroce qu'elles. A l'égard des animaux
qui ont réellement plus de force qu'il n'a d'adresse, il est vis-à-vis
d'eux dans le cas des autres espèces plus faibles, qui ne laissent pas de
subsister; avec cet avantage pour l'homme, que non moins dispos qu'eux à
la course, et trouvant sur les arbres un refuge presque assuré, il a
partout le prendre et le laisser dans la rencontre, et le choix de la
fuite ou du combat.
Suivantes |
notwithstanding; he has even this great
Advantage over such weaker Species, that being equally fleet with them,
and finding on every Tree an almost inviolable Asylum, he is always at
liberty to take it or leave it, as he likes best, and of course to fight
or to fly, whichever is most agreeable to him. To this we may add that no
Animal naturally makes war upon Man, except in the Case of Self-defence or
extreme Hunger; nor ever expresses against him any of these violent
Antipathies, which seem to indicate that some particular species are
intended by Nature for the Food of others.
But There are other more formidable
Enemies, and against which Man is not provided with the same Means of
Defence; I mean natural Infirmities, Infancy, old Age, and Sickness of
every Kind; melancholy Proofs of our
Weakness, |
Ajoutons qu'il ne paraît pas qu'aucun animal
fasse naturellement la guerre à l'homme, hors le cas de sa propre défense
ou d'une extrême faim, ni témoigne contre lui de ces violentes antipathies
qui semblent annoncer qu'une espèce est destinée par la nature à servir de
pâture à l'autre.
D'autres ennemis plus redoutables, et dont l'homme n'a pas les mêmes
moyens de se défendre, sont les infirmités naturelles, l'enfance, la
vieillesse, et les maladies de toute espèce; tristes signes de notre
faiblesse, dont les deux premiers sont communs à tous les animaux, et dont
le dernier appartient principalement à l'homme vivant en société.
Suivantes |
Weakness, whereof the two first are common to
all Animals, and the last chiefly attends Man living in a State of
society. It is even observable in regard to Infancy, that the Mother being
able to carry her Child about with her, wherever she goes, can perform the
Duty of a Nurse with a great deal less Trouble, than the Females of many
other Animals, who are obliged to be constantly going and coming with no
small Labour and Fatigue, one Way to look out for their own Subsistence,
and another to suckle and feed their young ones. True it is that, if the
Woman happens to perish, her Child is exposed to the greatest Danger of
perishing with her; but this Danger is common to a hundred other Species,
whose young ones require a great deal of Time to be able to provide for
themselves; and if our Infancy is longer than theirs, our Life is longer
likewise; so that, in this respect too, all Things are
in |
J'observe même, au sujet de l'enfance, que la
mère, portant partout son enfant avec elle, a beaucoup plus de facilité à
le nourrir que n'ont les femelles de plusieurs animaux, qui sont forcées
d'aller et venir sans cesse avec beaucoup de fatigue, d'un côté pour
chercher leur pâture, et de l'autre pour allaiter ou nourrir leurs petits.
Il est vrai que si la femme vient à périr l'enfant risque fort de périr
avec elle; mais ce danger est commun à cent autres espèces, dont les
petits ne sont de longtemps en état d'aller chercher eux-mêmes leur
nourriture;
Suivantes |
in a manner equal; (7)
not but that there are other Rules concerning the Duration of the
first Age of Life, and the Number of the young of Man and other
Animals, (8)
but they do not belong to my Subject. With old Men, who stir and
perspire but little, the Demand for Food diminishes with their
Abilities to provide it; and as a savage Life would exempt them from
the Gout and the Rheumatism, and old Age is of all Ills that which
human Assistance is least capable of alleviating, they would at last
go off, without its being perceived by others that they ceased to
exist, and almost without perceiving it
themselves. In regard to Sickness,
I shall not repeat the vain and false Declamations made use of to
discredit Medicine by most Men, while they enjoy their Health; I
shall only ask if there are any solid Observations from which we may
conclude that
in |
et si l'enfance est plus longue parmi nous,
la vie étant plus longue aussi, tout est encore à peu près égal en
ce point (Note 7), quoiqu'il y ait sur la durée du premier âge, et
sur le nombre des petits (Note 8), d'autres règles, qui ne sont pas
de mon sujet. Chez les vieillards, qui agissent et transpirent peu,
le besoin d'aliments diminue avec la faculté d'y pourvoir; et comme
la vie sauvage éloigne d'eux la goutte et les rhumatismes, et que la
vieillesse est de tous les maux celui que les secours humains
peuvent le moins soulager, ils s'éteignent enfin, sans qu'on
s'aperçoive qu'ils cessent d'être, et presque sans s'en apercevoir
eux-mêmes.
A l'égard des maladies, je ne répéterai
point les vaines et fausses déclamations, que font contre la
médecine la plupart des gens en santé; mais je demanderai s'il y a
quelque observation solide de laquelle on puisse conclure que dans
les pays, Suivantes |
in those Countries, where the healing
Art is most neglected, the mean Duration of Man's Life is shorter
than in those, where it is most cultivated? And how is it possible
this should be the Case, if we inflict more Diseases upon ourselves
than Medicine can supploy us with Remedies! The extreme Inequalities
in the Manner of Living of the several Classes of Mankind, the
Excess of Idleness in some, and of Labour in others, the Facility of
irritating and satisfying our Sensuality and our Appeties, the too
exquisite and out of the way Aliments of the Rich, which fill them
with fiery Juices, and bring on Indigestions, the unwholesome Food
of the Poor, of which even, bas as it is, they very often fall
short, and the want of which tempts them, every Opportunity that
offers, to eat greedily and overload their stomachs; Watchings,
Excesses of every Kind, immoderate Transports of all the Passions,
Fatigues, Waste of Spirits, in a
word, |
où cet art est le plus négligé, la vie moyenne de l'homme soit plus courte que dans ceux où il est cultivé avec le plus de
soin; et comment cela pourrait-il être, si nous nous donnons plus de
maux que la médecine ne peut nous fournir de remèdes!
L'extrême
inégalité dans la manière de vivre, l'excès d'oisiveté dans les uns,
l'excès de travail dans les autres, la facilité d'irriter et de
satisfaire nos appétits et notre sensualité, les aliments trop
recherchés des riches, qui les nourrissent de sucs échauffants et
les accablent d'indigestions, la mauvaise nourriture des pauvres,
dont ils manquent même le plus souvent, et dont le défaut les porte
à surcharger avidement leur estomac dans l'occasion, les veilles,
les excès de toute espèce, les transports immodérés de toutes les
passions, les fatigues, et l'épuisement d'esprit, les chagrins, et
les peines sans nombre qu'on éprouve dans tous les états, et dont
les âmes sont perpétuellement rongées.
Suivantes |
word, the numberless Pains and Anxieties
annexed to every Condition, and which the Mind of Man is constantly
a Prey to; these are the fatal Proofs that most of our Ills are of
our own making, and that we might have avoided them all by adhering
to the simple, uniform and solitary Way of Life prescribed to us by
Nature. Allowing that Nature intended we should always enjoy good
Health, I dare almost affirm that a State of Reflection is a State
against Nature, and that the Man who meditates is a depraved Animal.
We need only call to mind the good Constitution of Savages, of those
at least whom we have not destroyed by our strong Liquors; we need
only reflect, that they are Strangers to almost every Disease,
except those occasioned by Wounds and old Age, to be in a manner
convinced that the History of human Diseases might be easily
composed by pursuing that of civil Societies. Such at last was the
Opinion of Plato, who
concluded |
Voilà les funestes garants que la plupart
de nos maux sont notre propre ouvrage, et que nous les aurions
presque tous évités, en conservant la manière de vivre simple,
uniforme, et solitaire qui nous était prescrite par la nature. Si
elle nous a destinés à être sains, j'ose presque assurer que l'état
de réflexion est un état contre nature, et que l'homme qui médite
est un animal dépravé. Quand on songe à la bonne constitution des
sauvages, au moins de ceux que nous n'avons pas perdus avec nos
liqueurs fortes, quand on sait qu'ils ne connaissent presque
d'autres maladies que les blessures, et la vieillesse, on est très
porté à croire qu'on ferait aisément l'histoire des maladies
humaines en suivant celle des sociétés civiles.
Suivantes |
concluded from certain Remedies made use
of or approved by Podalyrus and Macaon at the Siege of
Troy, that several Disorders, which these Remedies were found
to bring on in his Days, were not known among Men at that remote
Period. Man therefore, in a State
of Nature where there are so few Sources of sickness, can have no
great Occasion for Physic, and still less for Physicians; neither is
the Human Species more to be pitied in this Respect, than any other
Species of Animals. Ask those who make Hunting their Recreation or
Business, if in their Excursions they meet with many sick or feeble
Animals. They meet with many carrying the Marks of considerable
Wounds, that have been perfectly well healed and closed up; with
many, whose Bones formerly broken, and whose Limbs almost torn off,
have completely knit and united
without |
C'est au moins l'avis de Platon, qui
juge, sur certains remèdes employés ou approuvés par Podalyre et
Macaon au siège de Troie, que diverses maladies, que ces remèdes
devaient exciter, n'étaient point encore alors connues parmi les
hommes.
Avec si peu de sources de maux, l'homme dans l'état de nature n'a
donc guère besoin de remèdes, moins encore de médecins; l'espèce
humaine n'est point non plus à cet égard de pire condition que
toutes les autres, et il est aisé de savoir des chasseurs si dans
leurs courses ils trouvent beaucoup d'animaux infirmes.
Suivantes |
without any other Surgeon but Time, any
other Regimen but their usual way of Living, and whose Cures were
not the less perfect for their not having been tortured with
Incisions, poisoned with Drugs, or worn out by Diet and Abstinence.
In a word, however useful Medicine well administered may be to us
who live in a State of Society, it is still past Doubt, that if, on
the one hand, the sick Savage, destitute of Help, has nothing to
hope from Nature, on the other, he has nothing to fear but from his
Disease; a Circumstance, which often renders his situation
preferable to ours. Let us
therefore beware of confounding savage Man with the Men, whom we
daily see and converse with. Nature behaves towards all Animals left
to her Care with a Predilection, that seems to prove how jealous she
is of that Prerogative. The
Horse, |
Plusieurs en trouvent-ils qui ont reçu des
blessures considérables très bien cicatrisées, qui ont eu des os, et
même des membres, rompus et repris sans autre chirurgien que le
temps, sans autre régime que leur vie ordinaire, et qui n'en sont
pas moins parfaitement guéris, pour n'avoir point été tourmentés
d'incisions, empoisonnés de drogues, ni exténués de jeûnes. Enfin,
quelque utile que puisse être parmi nous la médecine bien
administrée, il est toujours certain que si le sauvage malade
abandonné à lui-même n'a rien à espérer que de la nature, en
revanche il n'a rien à craindre que de son mal, ce qui rend souvent
sa situation préférable à la nôtre.
Gardons-nous donc de confondre l'homme
sauvage avec les hommes, que nous avons sous les yeux. La nature
traite tous les animaux abandonnés à ses soins avec une
prédilection, qui semble montrer combien elle est jalouse de ce
droit.
Suivantes |
Horse, the Cat, the Bull, nay the Ass
itself, have generally a higher Stature, and always a more robust
Constitution, more Vigour, more Strength and Courage in their
Forests than in our Houses; they lose half these Advantages by
becoming domestic Animals; it looks as if all our Attention to treat
them kindly, and to feed them well, served only to bastardize them.
It is thus with Man himself. In proportion as he becomes sociable
and a Slave to others, he becomes weak, fearful, mean-spirited, and
his soft and effeminate Way of Living at once completes the
Enervation of his Strength and of his Courage. We may add, that
there must be still a wider Difference between Man and Man in a
savage and domestic Condition, than between Beast and Beast; for as
Men and Beasts have been treated alike by Nature, all the
Conveniences with which Men
indulge |
Le cheval, le chat, le taureau, l'âne même ont la plupart une
taille plus haute, tous une constitution plus robuste, plus de
vigueur, de force, et de courage dans les forêts que dans nos
maisons; ils perdent la moitié de ces avantages en devenant
domestiques, et l'on dirait que tous nos soins à bien traiter et
nourrir ces animaux n'aboutissent qu'à les abâtardir. Il en est
ainsi de l'homme même: en devenant sociable et esclave, il devient
faible, craintif, rampant, et sa manière de vivre molle et efféminée
achève d'énerver à la fois sa force et son courage. Ajoutons
qu'entre les conditions sauvage et domestique la différence d'homme
à homme doit être plus grande encore que celle de bête à bête; car
l'animal et l'homme ayant été traités également par la nature,
toutes les commodités que l'homme
Suivantes |
indulge themselves more than they do the
Beasts tamed by them, are so many particular Causes which make them
degenerate more sensibly. Nakedness
therefore, the want of Houses, and of all these Unnecessaries, which
we consider as so very necessary, are not such mighty Evils in
respect to these primitive Men, and much less still any Obstacle to
their Preservation. Their Skins, it is true, are destitute of Hair;
but then they have no Occasion for any such Covering in warm
Climates; and in cold Climates they soon learn to apply to that Use
those of the Animals they have conquered; they have but two Feet to
run with, but they have two Hands to defend themselves with, and
provide for all their Wants; it costs them perhaps a great deal of
Time and Trouble to make their Children walk, but the Mothers carry
them with Ease; an Advantage not granted to other Species of
Animals,
with |
se donne de plus qu'aux animaux
qu'il apprivoise sont autant de causes particulières qui le font
dégénérer plus sensiblement. Ce n'est donc pas un si grand malheur à ces premiers hommes, ni surtout un si grand obstacle à leur
conservation, que la nudité, le défaut d'habitation, et la privation
de toutes ces inutilités, que nous croyons si nécessaires. S'ils
n'ont pas la peau velue, ils n'en ont aucun besoin dans les pays
chauds, et ils savent bientôt, dans les pays froids, s'approprier
celles des bêtes qu'ils ont vaincues; s'ils n'ont que deux pieds
pour courir, ils ont deux bras pour pourvoir à leur défense et à
leurs besoins; leurs enfants marchent peut-être tard et avec peine,
mais les mères les portent avec facilité; avantage qui manque aux
autres espèces, où la mère, étant poursuivie, se voit contrainte
d'abandonner ses petits, ou de régler son pas sur le leur.
Suivantes |
with whom the Mother, when pursued, is
obliged to abandon her young ones, or regulate her Steps by theirs.
In short, unless we admit those singular and fortuitous Concurrences
of Circumstances, which I shall speak of hereafter, and which, it is
very possible, may never have existed, it is evident, in every State
of the Question, that the Man, who first made himself Clothes and
built himself a Cabbin, supplied himself with Things which he did
not much want, since he had lived without them till then; and why
should he not have been able to support in his riper Years, the same
kind of Life, which he had supported from his
Infancy? Alone, idle, and always
surrounded with Danger, savage Man must be fond of Sleep, and sleep
lightly like other Animals, who think but little, and may, in a
manner, be said to sleep all the Time they do not think:
Self-preservation
being |
Enfin, à moins de supposer ces concours
singuliers et fortuits de circonstances, dont je parlerai dans la
suite, et qui pouvaient fort bien ne jamais arriver, il est clair en
tout état de cause que le premier qui se fit des habits ou un
logement se donna en cela des choses peu nécessaires, puisqu'il s'en
était passé jusqu'alors, et qu'on ne voit pas pourquoi il n'eût pu
supporter, homme fait, un genre de vie qu'il supportait dès son
enfance.
Seul, oisif, et toujours voisin du danger, l'homme sauvage doit
aimer à dormir, et avoir le sommeil léger comme les animaux, qui,
pensant peu, dorment, pour ainsi dire, tout le temps qu'ils ne
pensent point.
Suivantes |
being almost his only Concern, he must
exercise those Faculties most, which are most serviceable in
attacking and in defending, whether to subdue his Prey, or to
prevent his becoming that of other Animals: those Organs, on the
contrary, which Softness and Sensuality can alone improve, must
remain in a State of Rudeness, utterly incompatible with all manner
of Delicacy; and as his Senses are divided on this Point, his Touch
and his Taste must be extremely coarse and blunt; his Sight, his
Hearing, and his Smelling equally subtile: such is the animal State
in general, and accordingly, if we may believe Travellers, it is
that of most Savage Nations. We must not therefore be surprised,
that the Hottentots of the Cape of Good Hope,
distinguish with their naked Eyes ships on the Ocean, at as great a
Distance as the Dutch can discern them with their Glasses;
nor that the Savages of America should have tracked the
Spaniards
with |
Sa propre conservation faisant presque son
unique soin, ses facultés les plus exercées doivent être celles qui
ont pour objet principal l'attaque et la défense, soit pour
subjuguer sa proie, soit pour se garantir d'être celle d'un autre
animal: au contraire, les organes qui ne se perfectionnent que par
la mollesse et la sensualité doivent rester dans un état de
grossièreté, qui exclut en lui toute espèce de délicatesse; et ses
sens se trouvant partagés sur ce point, il aura le toucher et le
goût d'une rudesse extrême; la vue, l'ouïe et l'odorat de la plus
grande subtilité. Tel est l'état animal en général, et c'est aussi,
selon le rapport des voyageurs, celui de la plupart des peuples
sauvages. Ainsi il ne faut point s'étonner, que les Hottentots du
cap de Bonne-Espérance découvrent, à la simple vue des vaisseaux en
haute mer, d'aussi loin que les Hollandais avec des lunettes, ni que
les sauvages de l'Amérique sentissent les Espagnols à la piste,
Suivantes
|
with their Noses, to as great a Degree
of Exactness, as the best Dogs could have done; nor that all these
barbarous Nations support Nakedness without Pain, use such large
Quantities of Piemento to give their Food a Relish, and drink like
Water the strongest Liquors of
Europe. As yet I have
considered Man merely in his Physical Capacity; let us now endeavour
to examine him in a Metaphysical and Moral
Light. I can discover nothing in
any mere Animal but an ingenious Machine, to which Nature has given
Senses to wind itself up, and guard, to a certain Degree, against
every thing that might destroy or disorder it. I perceive the very
same things in the Human Machine, with this Difference, that Nature
alone operates in all the Operations of the Beast, whereas Man, as a
free Agent, has a Share in his. One chuses by instinct; the other by
an act of
Liberty; |
comme auraient pu faire les meilleurs
chiens, ni que toutes ces nations barbares supportent sans peine
leur nudité, aiguisent leur goût à force de piment, et boivent des
liqueurs européennes comme de l'eau.
Je n'ai considéré jusqu'ici que l'homme physique. Tâchons de le
regarder maintenant par le côté métaphysique et moral.
Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la
nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se
garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la
détruire, ou à la déranger. J'aperçois précisément les mêmes choses
dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule
fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'homme
concourt aux siennes, en qualité d'agent libre.
Suivantes |
Liberty; for which Reason the Beast cannot deviate
from the Rules that have been prescribed to it, even in Cases where
such Deviation might be useful, and Man often deviates from the
Rules laid down for him to his Prejudice. Thus a Pigeon would starve
near a Dish of the best Flesh-meat, and a Cat on a Heap of Fruit or
Corn, tho' both might very well support Life with the Food which
they thus disdain, did they but bethink themselves to make a Trial
of it: it is in this manner that dissolute Men run into Excesses,
which bring on Fevers and Death itself; because the Mind depraves
the Senses, and when Nature ceases to speak, the Will still
continues to dictate. All Animals
must be allowed to have Ideas, since all Animals have Senses; they
even combine their Ideas to a certain Degree, and, in this Respect,
it is only the Difference of such Degree, that constitutes the
Difference |
L'un choisit ou rejette par instinct, et
l'autre par un acte de liberté; ce qui fait que la bête ne peut
s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui
serait avantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à
son préjudice. C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un
bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de
fruits, ou de grain, quoique l'un et l'autre pût très bien se
nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en
essayer. C'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès,
qui leur causent la fièvre et la mort; parce que l'esprit déprave
les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait.
Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même ses
idées jusqu'à un certain point, et l'homme ne diffère à cet égard de
la bête que du plus au moins.
Suivantes |
Difference between Man and Beast: some
Philosophers have even advanced, that there is a greater Difference
between some Men and some others, than between some Men and some
Beasts; it is not therefore so much the Understanding that
constitutes, among Animals, the specifical Distinction of Man, as
his Quality of a free Agent. Nature speaks to all Animals, and
Beasts obey her Voice. Man feels the same Impression, but he at the
same time perceives that he is free to resist or to acquiesce; and
it is in the Consciousness of this Liberty, that the Spirituality of
his Soul chiefly appears: for Natural Philosophy explains, in some
measure, the Mechanism of the Senses and the Formation of Ideas; but
in the Power of willing, or rather of chusing, and in the
Consciousness of this Power, nothing can be discovered but Acts,
that are purely spiritual, and cannot be accounted for by the Laws
of Mechanics.
But |
Quelques philosophes ont même avancé qu'il
y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à
telle bête; ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les
animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent
libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L'homme
éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer,
ou de résister; et c'est surtout dans la conscience de cette liberté
que se montre la spiritualité de son âme: car la physique explique
en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées;
mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le
sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement
spirituels, dont on n'explique rien par les lois de la mécanique.
Suivantes
|
But tho' the
Difficulties, in which all these Questions are involved, should
leave some Room to dispute on this Difference between Man and Beast,
there is another very specifick Quality that distinguishes them, and
a Quality which will admit of no Dispute; this is the Faculty of
Improvement; a Faculty which, as Circumstances offer, successively
unfolds all the other Faculties, and resides among us not only in
the Species, but in the Individuals that compose it; whereas a Beast
is, at the end of some Months, all he ever will be during the rest
of his Life; and his Species, at the End of a thousand Years,
precisely what it was the first Year of that long Period. Why is Man
alone subject to Dotage? Is it not, because he thus returns to his
primitive Condition? And because, while the Beast, which has
acquired nothing and has likewise nothing to lose, continues always
in Possession of his
Instinct, |
Mais, quand les difficultés qui environnent
toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur
cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité
très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y
avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner; faculté
qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les
autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu,
au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera
toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était
la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il
sujet à devenir imbécile? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans
son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis
et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct,
l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents tout ce
que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus
bas que la bête même?
Suivantes |
Instinct, Man, losing by old Age, or by
Accidents, all the Acquisitions he had made in consequence of his
Perfectibility, thus falls back even lower than Beasts
themselves? It would be a melancholy Necessity for us to be obliged
to allow, that this distinctive and almost unlimited Faculty is the
Source of all Man's Misfortunes; that it is this Faculty, which,
tho' by slow Degrees, draws them out of their original Condition, in
which his Days would slide away insensibly in Peace and Innocence;
that it is this Faculty, which, in a Succession of Ages, produces
his Discoveries and Mistakes, his Virtues and his Vices, and, at
long run, renders him both his own and Nature's Tyrant. (9)
It would be shocking to be obliged to commend, as a beneficent
Being, whoever he was that first suggested to the Orenoco
Indians the Use of those Boards which they bind on the Temples
of their Children, and which
secure |
Il serait triste pour nous d'être forcés de
convenir, que cette faculté distinctive et presque illimitée est la
source de tous les malheurs de l'homme; que c'est elle qui le tire,
à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il
coulerait des jours tranquilles et innocents; que c'est elle qui,
faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses
vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de
la nature (Note 9). Il serait affreux d'être obligés de louer comme
un être bienfaisant celui qui le premier suggéra à l'habitant des
rives de l'Orénoque l'usage de ces ais qu'il applique sur les tempes
de ses enfants, et qui leur assurent du moins une partie de leur
imbécillité, et de leur bonheur originel.
Suivantes |
secure to them the Enjoyment of some
Part at least of their natural Imbecility and
Happiness. Savage Man, abandoned by
Nature to pure Instinct, or rather indemnified for that which has
perhaps been denied to him by Faculties capable of immediately
supplying the place of it, and of raising him afterwards a great
deal higher, would therefore begin with Functions that were merely
Animal: (10)
to see and to feel would be his first Condition, which he would
enjoy in common with other Animals. To will and not to will, to wish
and to fear, would be the first, and in a manner, the only
Operations of his Soul, till new Circumstances occasioned new
Developments. Let Moralists say
what they will, the Human Understanding is greatly indebted to the
Passions, which, on their Side, are
likewise |
L'homme sauvage, livré par la nature au
seul instinct, ou plutôt dédommagé de celui qui lui manque
peut-être, par des facultés capables d'y suppléer d'abord, et de
l'élever ensuite fort au-dessus de celle-là, commencera donc par les
fonctions purement animales (Note 10): apercevoir et sentir sera son
premier état, qui lui sera commun avec tous les animaux. Vouloir et
ne pas vouloir, désirer et craindre, seront les premières, et
presque les seules opérations de son âme, jusqu'à ce que de
nouvelles circonstances y causent de nouveaux développements.
Suivantes |
likewise universally allowed to be
greatly indebted to the Human Understanding. It is by the Activity
of our Passions, that our Reason improves; we covet Knowledge merely
because we covet Enjoyment, and it is impossible to conceive, why a
Man exempt from Fears and Desires should take the Trouble to reason.
The Passions, in their turn, owe their Origin to our Wants, and
their Increase to our Progress in Science; for we cannot desire or
fear any Thing, but in consequence of the Ideas we have ot it, or of
the simple Impulses of Nature; and Savage Man, destitute of every
Species of Knowledge, experiences no Passions but those of this last
Kind; his Desires never extend beyond his Physical Wants; (11)
He knows no Goods but Food, a Female, and Rest; he fears no Evils
but Pain, and Hunger; I say Pain, and not Death; for ? mal, merely
as such, will ?
what |
Quoi qu'en disent les moralistes,
l'entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d'un commun
aveu, lui doivent beaucoup aussi: c'est par leur activité que notre
raison se perfectionne; nous ne cherchons à connaître que parce que
nous désirons de jouir, et il n'est pas possible de concevoir
pourquoi celui qui n'aurait ni désirs ni craintes se donnerait la
peine de raisonner. Les passions, à leur tour, tirent leur origine
de nos besoins, et leur progrès de nos connaissances; car on ne peut
désirer ou craindre les choses que sur les idées qu'on en peut
avoir, ou par la simple impulsion de la nature; et l'homme sauvage,
privé de toute sorte de lumières, n'éprouve que les passions de
cette dernière espèce; ses désirs ne passent pas ses besoins
physiques (Note 11); les seuls biens, qu'il connaisse dans l'univers
sont la nourriture, une femelle et le repos; les seuls maux qu'il
craigne sont la douleur et la faim; je dis la douleur et non la
mort; car jamais l'animal ne saura ce que c'est que mourir, et la
connaissance de la mort, et de ses terreurs, est une des premières
acquisitions que l'homme ait faites, en s'éloignant de la condition
animale.
Suivantes |
what it is to die, and the Knowledge of Death, and of its Terrors, is one of the first Acquisitions made by Man, in consequence of his deviating from the Animal State. I could easily, were it requisite, cite Facts in support of this Opinion, and show, that the Progress of the Mind has every where kept Pace exactly with the Wants, to which Nature had left the Inhabitants exposed, or to which Circumstances had subjected them, and consequently to the Passions, which inclined them to provide for these Wants. I could exhibit in AEgypt the Arts starting up, and extending themselves with the Inundations of the Nile; I could pursue them in their Progress among the Greeks, where they were seen to bud forth, grow, and rise to the Heavens, in the midst of the Sands and Rocks of Attica, without being able to take Root on the fertile
Banks |
Il me serait aisé, si cela m'était nécessaire, d'appuyer ce sentiment par les faits, et de faire voir que chez toutes les nations du monde, les progrès de l'esprit se sont précisément proportionnés aux besoins que les peuples avaient reçus de la nature, ou auxquels les circonstances les avaient assujettis, et par conséquent aux passions, qui les portaient à pourvoir à ces besoins. Je montrerais en Egypte les arts naissants, et s'étendant avec les débordements du Nil; je suivrais leur progrès chez les Grecs, où l'on les vit germer, croître, et s'élever jusqu'aux cieux parmi les sables et les rochers de l'Attique, sans pouvoir prendre racine sur les bords fertiles de l'Eurotas;
Suivantes |
Banks of the Exrotas; I would observe, that, in general, the Inhabitants of the North are more Industrious than those of the South, because they can less do without Industry; as if Nature thus meant to make all Things equal, by giving to the Mind that Fertility she has denied to the Soil. But exclusive of the uncertain Testimonies of History, who does not perceive that every thing seems to remove from Savage Man the Temptation and the Means of altering his Condition? His Imagination paints nothing to him; his Heart asks nothing from him. His moderate Wants are so easily supplied with what he every where finds ready to his Hand, and he stands at such a Distance from the Degree of Knowledge requisite to covet more, that he can neither have Foresight or Curiosity. The Spectacle of Nature, by growing quite
familiar |
je remarquerais qu'en général les peuples du Nord sont plus industrieux que ceux du Midi, parce qu'ils peuvent moins se passer de l'être, comme si la nature voulait ainsi égaliser les choses, en donnant aux esprits la fertilité qu'elle refuse à la terre. Mais sans recourir aux témoignages incertains de l'Histoire, qui ne voit que tout semble éloigner de l'homme sauvage la tentation et les moyens de cesser de l'être? Son imagination ne lui peint rien; son coeur ne lui demande rien. Ses modiques besoins se trouvent si aisément sous la main,et il est si loin du degré de connaissances nécessaires pour désirer d'en acquérir de plus grandes qu'il ne peut avoir ni prévoyance, ni curiosité. Le spectacle de la nature lui devient indifférent, à force de lui devenir familier.
Suivantes
|
familiar to him, becomes at last equally indifferent. It is constantly the same Order, constantly the same Revolutions; he has not Sense enough to feel surprise at the Sight of the greatest Wonders; and it is not in his Mind we must look for that Philosophy, which Man must have to know how to observe once, what he has every Day seen. His Soul, which nothing disturbs, gives itself up entirely to the Consciousness of its actual Existence, without any Thought of even the nearest Futurity; and his Projects, equally confined with his Views, scarce extend to the end of the Day. such is, even at present, the Degree of Foresight in the Carribean: he sells his Cotton Bed in the Morning, and comes in the Evening, with Tears in his Eyes, to buy it back, not having foreseen that he should want it again the next Night. The more we meditate on this Subject, the wider does the Distance between
mere |
C'est toujours le même ordre, ce sont toujours les mêmes révolutions; il n'a pas l'esprit de s'étonner des plus grandes merveilles; et ce n'est pas chez lui qu'il faut chercher la philosophie dont l'homme a besoin, pour savoir observer une fois ce qu'il a vu tous les jours. Son âme, que rien n'agite, se livre au seul sentiment de son existence actuelle, sans aucune idée de l'avenir, quelque prochain qu'il puisse être, et ses projets, bornés comme ses vues, s'étendent à peine jusqu'à la fin de la journée. Tel est encore aujourd'hui le degré de prévoyance du Caraïbe: il vend le matin son lit de coton, et vient pleurer le soir pour le racheter, faute d'avoir prévu qu'il en aurait besoin pour la nuit prochaine. Plus on médite sur ce sujet, plus la distance des pures sensations aux plus simples connaissances s'agrandit à nos regards;
Suivantes
|
mere Sensation and the most simple Knowledge become in our Eyes; and it is impossible to conceive how Man, by his own Powers alone, without the Assistance of Communication, and the Spur of Necessity, could have got over so great an Interval. How many Ages perhaps revolved, before Men beheld any other Fire but that of the Heavens? How many different Accidents must have concurred to make them acquainted with the most common Uses of this Element? How often have they let it go out, before they knew the Art of reproducing it? And how often perhaps has not every one of these Secrets perished with the Discoverer? What shall we say of Agriculture, an Art which requires so much Labour and Foresight; which depends upon other Arts; which, it is very evident, cannot be practised but in a Society, if not a formed one, at least one of some standing, and which does not so much serve to draw
Aliments |
et il est impossible de concevoir comment un homme aurait pu par ses seules forces, sans le secours de la communication, et sans l'aiguillon de la nécessité, franchir un si grand intervalle. Combien de siècles se sont peut-être écoulés, avant que les hommes aient été à portée de voir d'autre feu que celui du ciel? Combien ne leur a-t-il pas fallu de différents hasards pour apprendre les usages les plus communs de cet élément? Combien de fois ne l'ont-ils pas laissé éteindre, avant que d'avoir acquis l'art de le reproduire? Et combien de fois peut-être chacun de ces secrets n'est-il pas mort avec celui qui l'avait découvert? Que dirons-nous de l'agriculture, art qui demande tant de travail et de prévoyance; qui tient à d'autres arts, qui très évidemment n'est praticable que dans une société au moins commencée, et qui ne nous sert pas tant à tirer de la terre des aliments qu'elle fournirait bien sans cela qu'à la forcer aux préférences, qui sont le plus de notre goût?
Suivantes
|
Aliments from the Earth, for the Earth would yield them without all that Trouble, as to oblige her to produce those things, which we like best, preferably to others? But let us suppose that Men had multiplied to such a Degree, that the natural Products of the Earth no longer sufficed for their Support; a Supposition which, by the bye, would prove that this Kind of Life would be very advantageous to the Human Species; let us suppose that, without Forge or Anvil, the Instruments of Husbandry had dropt from the Heavens into the Hands of Savages, that these Men had got the better of that mortal Aversion they all have for constant Labour; that they had learned to foretell their Wants at so great a Distance of Time; that they had guessed exactly how they were to break the Earth, commit their Seed to it, and plant Trees; that they had found out the Art of grinding their Corn, and improving by Germentation the Juice of their
Grapes; |
Mais supposons que les hommes eussent tellement multiplié que les productions naturelles n'eussent plus suffi pour les nourrir; supposition qui, pour le dire en passant, montrerait un grand avantage pour l'espèce humaine dans cette manière de vivre; supposons que sans forges, et sans ateliers, les instruments du labourage fussent tombés du ciel entre les mains des sauvages; que ces hommes eussent vaincu la haine mortelle qu'ils ont tous pour un travail continu; qu'ils eussent appris à prévoir de si loin leurs besoins, qu'ils eussent deviné comment il faut cultiver la terre, semer les grains, et planter les arbres; qu'ils eussent trouvé l'art de moudre le blé, et de mettre le raisin en fermentation;
Suivantes
|
Grapes; all Operations which we must allow them to have learned from the Gods, since we cannot conceive how they should make such Discoveries of themselves; after all these fine Presents, what Man would be mad enough to cultivate a Field, that may be robbed by the first Comer, Man or Beast, who takes a fancy to the Produce of it. And would any Man consent to spend his Days in Labour and Fatigue, when the Rewards of his Labour and Fatigue became more and more precarious in Proportion to his Want of them? In a word, how could this Situation engage Men to cultivate the Earth, as long as it was not parcelled out among them, that is, as long as a State of Nature subsisted. Tho' we should suppose Savage Man as well versed in the Art of Thinking, as Philosophers make him; tho' we were, after them, to make him a Philosopher himself, discovering of himself the
sublimest |
toutes choses qu'il leur a fallu faire enseigner par les dieux, faute de concevoir comment ils les auraient apprises d'eux-mêmes; quel serait après cela, l'homme assez insensé pour se tourmenter à la culture d'un champ qui sera dépouillé par le premier venu, homme, ou bête indifféremment, à qui cette moisson conviendra; et comment chacun pourra-t-il se résoudre à passer sa vie à un travail pénible, dont il est d'autant plus sûr de ne pas recueillir le prix qu'il lui sera plus nécessaire? En un mot, comment cette situation pourra-t-elle porter les hommes à cultiver la terre, tant qu'elle ne sera point partagée entre eux, c'est-à-dire tant que l'état de nature ne sera point anéanti?
Suivantes
|
sublimest Truths, forming to himself, by the most abstract Arguments, Maxims of Justice and Reason drawn from the Love of Order in general, or from the known Will of his Creator: In a word, tho' we were to suppose his Mind as intelligent and enlightened, as it must, and is, in fact, found to be dull and stupid; what Benefit would the Species receive from all these Metaphysical Discoveries, which could not be communicated, but must perish with the Individual who had made them? What Progress could Mankind make in the Forests, scattered up and down among the other Animals? And to what degree could Men mutually improve and enlighten each other, when they had no fixed Habitation, nor any need of each other's Assistance; when the same Persons scarcely met twice in their whole Lives, and on meeting neither spake to, or so much as knew each other.
Let |
Quand nous voudrions supposer un homme sauvage aussi habile dans l'art de penser que nous le font nos philosophes; quand nous en ferions, à leur exemple, un philosophe lui-même, découvrant seul les plus sublimes vérités, se faisant, par des suites de raisonnements très abstraits, des maximes de justice et de raisons tirées de l'amour de l'ordre en général, ou de la volonté connue de son Créateur; en un mot, quand nous lui supposerions dans l'esprit autant d'intelligence et de lumières qu'il doit avoir, et qu'on lui trouve en effet de pesanteur et de stupidité, quelle utilité retirerait l'espèce de toute cette métaphysique, qui ne pourrait se communiquer et qui périrait avec l'individu qui l'aurait inventée? Quel progrès pourrait faire le genre humain épars dans les bois parmi les animaux? Et jusqu'à quel point pourraient se perfectionner, et s'éclairer mutuellement des hommes qui, n'ayant ni domicile fixe ni aucun besoin l'un de l'autre, se rencontreraient, peut-être à peine deux fois en leur vie, sans se connaître, et sans se parler?
Suivantes
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Let us consider how many Ideas we owe to the Use of Speech; how much Grammar exercises, and facilitates the Operations of the Mind; let us, besides, reflect on the immense Pains and Time that the first Invention of Languages must have required: Let us add these Reflections to the preceding; and then we may judge how many thousand Ages must have been requisite to develop successively the Operations, which the Human Mind is capable of producing. I must now beg leave to stop one Moment to consider the Perplexities attending the Origin of Languages. I might here barely cite or repeat the Researches made, in relation to this Question, by the Abbé de Condillac, which all fully confirm my System, and perhaps even suggested to me the first Idea of it. But, as the manner, in which this Philosopher resolves the Difficulties of his own Starting, concerning
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Qu'on songe de combien d'idées nous sommes redevables à l'usage de la parole; combien la grammaire exerce et facilite les opérations de l'esprit; et qu'on pense aux peines inconcevables, et au temps infini qu'a dû coûter la première invention des langues; qu'on joigne ces réflexions aux précédentes, et l'on jugera combien il eût fallu de milliers de siècles, pour développer successivement dans l'esprit humain les opérations dont il était capable.
Qu'il me soit permis de considérer un instant les embarras de l'origine des langues. Je pourrais me contenter de citer ou de répéter ici les recherches que M. l'Abbé de Condillac a faites sur cette matière, qui toutes confirment pleinement mon sentiment, et qui, peut-être, m'en ont donné la première idée. Mais la manière dont ce philosophe résout les difficultés qu'il se fait à lui-même sur l'origine des signes institués, montrant qu'il a supposé ce que je mets en question, savoir une sorte de société déjà établie entre les inventeurs du langage, je crois en renvoyant à ses réflexions devoir y joindre les miennes pour exposer les mêmes difficultés dans le jour qui convient à mon sujet.
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the Origin of arbitrary Signs, shews that he supposes, what I doubt, namely a kind of Society already established among the Inventors of Languages; I think it my Duty, at the same time that I refer to his Reflections, to give my own, in order to expose the same Difficulties in a Light suitable to my Subject. The first that offers is how Languages could become necessary; for as there was no Correspondence between Men, nor the least Necessity for any, there is no conceiving the Necessity of this Invention, nor the Possibility of it, if it was not indispensible. I might say, with mnay others, that Languages are the Fruit of the Domestic Intercourse between Fathers, Mothers, and Children: but this, besides its not answering any Difficulties, would be committing the same Fault with those, who reasoning on the State of Nature, transfer to it Ideas collected in Society, always consider Families as living together under one Roof,
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La première qui se présente est d'imaginer comment elles purent devenir nécessaires; car les hommes n'ayant nulle correspondance entre eux, ni aucun besoin d'en avoir, on ne conçoit ni la nécessité de cette invention, ni sa possibilité, si elle ne fut pas indispensable. Je dirais bien, comme beaucoup d'autres, que les langues sont nées dans le commerce domestique des pères, des mères et des enfants: mais outre que cela ne résoudrait point les objections, ce serait commettre la faute de ceux qui raisonnant sur l'état de nature, y transportent les idées prises dans la société, voient toujours la famille rassemblée dans une même habitation, et ses membres gardant entre eux une union aussi intime et aussi permanente que parmi nous, où tant d'intérêts communs les réunissent; au lieu que dans cet état primitif,
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and their Members as observering among themselves an Union, equally intimate and permanent with that which we see exist in a Civil State, where so many common Interests conspire to unite them; whereas in this primitive State, as there were neither Houses nor Cabbins, nor any kind of Property, every one took up his Lodging at random, and seldom continued above one Night in the same Place; Males and Females united without any premediatated Design, as Chance, Occasion, or Desire brought them together, nor had they any great Occasion for Language to make known their Thoughts to each other. They parted with the same Ease. (12) The Mother suckled her Children, when just born, for her own sake; but afterwards out of Love and Affection to them, when Habit and Custom had made them dear to her; but they no sooner gained Strength enough to run about in quest of Food than they separated even from her of
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n'ayant ni maison, ni cabanes, ni propriété d'aucune espèce, chacun se logeait au hasard, et souvent pour une seule nuit; les mâles, et les femelles s'unissaient fortuitement selon la rencontre, l'occasion, et le désir, sans que la parole fût un interprète fort nécessaire des choses qu'ils avaient à se dire: ils se quittaient avec la même facilité (Note 12); la mère allaitait d'abord ses enfants pour son propre besoin; puis l'habitude les lui ayant rendus chers, elle les nourrissait ensuite pour le leur;
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their own accord; and as they scarce had any other Method of not losing each other, than that of remaining constantly in each other's Sight, they soon came to such a pass of Forgetfulness, as not even to know each other, when they happened to meet again. I must further observe, that the Child having all his Wants to explain, and consequently more things to say to his Mother, than the Mother can have to say to him, it is he that must be at the chief Expence of Invention, and the Language he makes use of must be in a great measure his own Work; this makes the Number of Languages equal to that of the Individuals who are to speak them; and this Multiplicy of Languages is further increased by their roving and vagabond kind of Life, which allows no Idiom time enough to acquire any Consistency; for to say that the Mother would have dictated to the Child the Words he must employ to ask her
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sitôt qu'ils avaient la force de chercher leur pâture, ils ne tardaient pas à quitter la mère elle-même; et comme il n'y avait presque point d'autre moyen de se retrouver que de ne pas se perdre de vue, ils en étaient bientôt au point de ne pas même se reconnaître les uns les autres. Remarquez encore que l'enfant ayant tous ses besoins à expliquer, et par conséquent plus de choses à dire à la mère que la mère à l'enfant, c'est lui qui doit faire les plus grands frais de l'invention, et que la langue qu'il emploie doit être en grande partie son propre ouvrage; ce qui multiplie autant les langues qu'il y a d'individus pour les parler, à quoi contribue encore la vie errante et vagabonde qui ne laisse à aucun idiome le temps de prendre de la consistance; car de dire que la mère dicte à l'enfant les mots dont il devra se servir pour lui demander telle ou telle chose, cela montre bien comment on enseigne des langues déjà formées, mais cela n'apprend point comment elles se forment.
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this thing and that, may well enough explain in what manner Languages, already formed, are taught, but it does not shew us in what manner they are first formed. Let us suppose this first Difficulty conquered: Let us for a Moment consider ourselves at this Side of the immense Space, which must have separated the pure State of Nature from that in which Languages became necessary, and let us, after allowing such Necessity (13) examine how Languages could begin to be established: A new Difficulty this, still more stubborn than the preceding; for if Men stood in need of Speech to learn to think, they must have stood in still greater need of the Art of thinking to invent that of speaking; and tho' we could conceive how the Sounds of the Voice came to be taken for the conventional Interpreters of our Ideas we should not be the nearer
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Supposons cette première difficulté vaincue: franchissons pour un moment l'espace immense qui dut se trouver entre le pur état de nature et le besoin des langues; et cherchons, en les supposant nécessaires (Note 13), comment elles purent commencer à s'établir. Nouvelle difficulté pire encore que la précédente; car si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser, ils ont eu bien plus besoin encore de savoir penser pour trouver l'art de la parole; et quand on comprendrait comment les sons de la voix ont été pris pour les interprètes conventionnels de nos idées,
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knowing who could have been the Interpreters of this Convention for such Ideas, as, in consequence of their not having any sensible Objects, could not be made manifest by Gesture or Voice; so that we can scarce form any tolerable Conjectures concerning the Birth of this Art of communicating our Thoughts, and establishing a Correspondence between Minds: A sublime Art which, tho' so remote from its Origin, Philosophers still behold at such a prodigious Distance from its Perfection, that I never met with one of them bold enough to affirm it would ever arrive there, tho' the Revolutions necessarily produced by Time were suspended in its Favour; tho' Prejudice could be banished from, or would at least consent to sit silent in the Presence of our Academies; and tho' these Societies should consecrate themselves, entirely and during whole Ages, to the Study of this intricate Object.
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il resterait toujours à savoir quels ont pu être les interprètes mêmes de cette convention pour les idées qui, n'ayant point un objet sensible, ne pouvaient s'indiquer ni par le geste, ni par la voix, de sorte qu'à peine put-on former des conjectures supportables sur la naissance de cet art de communiquer ses pensées, et d'établir un commerce entre les esprits: art sublime qui est déjà si loin de son origine, mais que le philosophe voit encore à une si prodigieuse distance de sa perfection qu'il n'y a point d'homme assez hardi pour assurer qu'il y arriverait jamais, quand les révolutions que le temps amène nécessairement seraient suspendues en sa faveur, que les préjugés sortiraient des académies ou se tairaient devant elles, et qu'elles pourraient s'occuper de cet objet épineux, durant des siècles entiers sans interruption.
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The first Language of Man, the most universal and most energetic of all Languages, in short, the only Language he had Occasion for, before there was a Necessity of persuading assembled Multitudes, was the Cry of Nature. As this Cry was never extorted but by a Kind of Instinct in the most urgent Cases, to implore Assistance in great Danger, or Relief in great Sufferings, it was of little use in the common Occurrences of Life, where more moderate Sentiments generally prevail. When the Ideas of Men began to extend and multiply, and a closer Communication began to take place among them, they laboured to devise more numerous Signs, and a more extensive Language: they multiplied the Inflections of the Vocie, and added to them Gestures, which are, in their Nature, more expressive, and whose Meaning depends less on any prior Determination. They therefore expressed visible and moveable
Objects |
Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu: ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure.
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Objects by Gestures, and those which strike the Ear, by imitative Sounds: but as Gestures scarcely indicate any thing except Objects that are actually present or can be easily described, and visible Actions; as they are not of general Use, since Darkness or the Interposition of an opake Medium renders them useless; and as besides they require Attention rather than excite it: Men at length bethought themselves of substituting to them the Articulations of Voice, which, without having the same Relation to any determinate Object, are, in quality of instituted Signs, fitter to represent all our Ideas; a Substitution, which could only have been made by common Consent, and in a Manner pretty difficult to practise by Men, whose rude Organs were unimproved by Exercise; a Substitution, which is in itself still more difficult to be conceived, since the Motives to this unanimous Agreement must have been some how or another expressed,
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Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe, par des sons imitatifs: mais comme le geste n'indique guère que les objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité, ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués; substitution qui ne peut se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour des hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir en elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole.
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and Speech therefore appears to have been exceedingly requisite to establish the use of Speech. We must allow, that the Words, first made use of by Men, had in their Minds a much more extensive Signification, than those employed in Languages of some standing, and that, considering how ignorant they were of the Division of Speech into its constituent Parts; they at first gave every Word the meaning of an entire Proposition. When afterwards they began to perceive the Difference between the Subject and Attribute, and between Verb and Noun, a Distinction which required no mean Effort of Genius, the Substantives for a time were only so many proper Names, the Infinitive was the only Tense, and as to Adjectives, great Difficulties must have attended the Development of the Idea that represents them, since every
Adjective |
On doit juger que les premiers mots, dont les hommes firent usage, eurent dans leur esprit une signification beaucoup plus étendue que n'ont ceux qu'on emploie dans les langues déjà formées, et qu'ignorant la division du discours en ses parties constitutives, ils donnèrent d'abord à chaque mot le sens d'une proposition entière. Quand ils commencèrent à distinguer le sujet d'avec l'attribut, et le verbe d'avec le nom, ce qui ne fut pas un médiocre effort de génie, les substantifs ne furent d'abord qu'autant de noms propres, l'infinitif fut le seul temps des verbes, et à l'égard des adjectifs la notion ne s'en dut développer que fort difficilement, parce que tout adjectif est un mot abstrait, et que les abstractions sont des opérations pénibles, et peu naturelles.
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Adjective is an abstract Word, and Abstraction is an unnatural and very painful Operation. At first they gave every Object a peculiar Name, without any regard to its Genus or Species, things which these first Institutors of Language were in no Condition to distinguish; and every Individual presented itself soliatary to their Minds, as it stands in the Table of Nature. If they called one Oak A, they called another Oak B: so that their Dictionary must have been more extensive in Proportion as their Knowledge of Things was more confined. It could not but be a very difficult Task to get rid of so diffuse and embarrassing a Nomenclature; as in order to marshal the several Beings under common and generic Denominations, it was necessary to be first acquainted with their Properties, and their Differences; to be stocked with
Observations |
Chaque objet reçut d'abord un nom particulier, sans égard aux genres, et aux espèces, que ces premiers instituteurs n'étaient pas en état de distinguer; et tous les individus se présentèrent isolés à leur esprit, comme ils le sont dans le tableau de la nature. Si un chêne s'appelait A, un autre chêne s'appelait B: de sorte que plus les connaissances étaient bornées, et plus le dictionnaire devint étendu. L'embarras de toute cette nomenclature ne put être levé facilement: car pour ranger les êtres sous des dénominations communes, et génériques, il en fallait connaître les propriétés et les différences; il fallait des observations, et des définitions, c'est-à-dire, de l'histoire naturelle et de la métaphysique, beaucoup plus que les hommes de ce temps-là n'en pouvaient avoir.
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Observations and Definitions, that is to say, to understand Natural History and Metaphysics, Advantages which the Men of these Times could not have enjoyed. Besides, general Ideas cannot be conveyed to the Mind without the Assistance of Words, nor can the Understanding seize them without the Assistance of Propositions. This is one of the Reasons, why mere Animals cannot form such Ideas, nor every acquire the Perfectibility, which depends on such an Operation. When a Monkey leaves without the least Hesitation one Nut for another, are we to think he has any general Idea of that kind of Fruit, and that he compares these two individual Bodies with his Archetype Notion of them? No certainly; but the sight of one of these Nuts calls back to his Memory the Sensations which he has received from the other; and his Eyes, modified after some certain manner, give
Notice |
D'ailleurs, les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qu'à l'aide des mots, et l'entendement ne les saisit que par des propositions. C'est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend. Quand un singe va sans hésiter d'une noix à l'autre, pense-t-on qu'il ait l'idée générale de cette sorte de fruit, et qu'il compare son archétype à ces deux individus? Non sans doute; mais la vue de l'une de ces noix rappelle à sa mémoire les sensations qu'il a reçues de l'autre, et ses yeux, modifiés d'une certaine manière, annoncent à son goût la modification qu'il va recevoir. Toute idée générale est purement intellectuelle; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière.
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Notice to his Palate of the Modification it is in its turn going to receive. Every general Idea is purely intellectual; let the Imagination tamper ever so little with it, it immediately becomes a particular Idea. Endeavour to represent to yourself the Image of a Tree in general, you never will be able to do it; in spite of all your Efforts it will appear big or little, thin or tufted, of a bright or a deep Colour; and were you Master to see nothing in it, but what can be seen in every Tree, such a Picture would no longer resemble any Tree. Beings perfectly abstract are perceiveable in the same manner, or are only conceivable by the Assistance of Speech. The Deffinition of a Triangle can alone give you a just Idea of that Figure: the Moment form a Triangle in your Mind, it is this or that particular Triangle and no other, and you cannot avoid giving Breadth to its Lines and Colur to its Area. We
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Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée: sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. Si donc les premiers inventeurs n'ont pu donner des noms qu'aux idées qu'ils avaient déjà, il s'ensuit que les premiers substantifs n'ont pu jamais être que des noms propres.
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must therefore make use of Propositions; we muct therefore speak to have general Ideas; for the Moment the Imagination stops, the Mind must stop too, if not assisted by Speech. If therefore the first Inventors could give no Names to any Ideas but those they had already, it follows that the first Substantives could never have been any thing more than proper Names. But when by Means, which I cannot conceive, our new Grammarians began to extend their Ideas, and generalize their Words, the Ignorance of the Inventors must have confined this Method to very narrow Bounds; and as they had at first too much multiplied the Names of Indviduals for want of being acquainted with the Distinctions called Genus and Species, they afterwards made too few Genera and Species for want of having considered Beings in all their Differences: to push
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Mais lorsque, par des moyens que je ne conçois pas, nos nouveaux grammairiens commencèrent à étendre leurs idées et à généraliser leurs mots, l'ignorance des inventeurs dut assujettir cette méthode à des bornes fort étroites; et comme ils avaient d'abord trop multiplié les noms des individus faute de connaître les genres et les espèces, ils firent ensuite trop peu d'espèces et de genres faute d'avoir considéré les êtres par toutes leurs différences. Pour pousser les divisions assez loin, il eût fallu plus d'expérience et de lumière qu'ils n'en pouvaient avoir, et plus de recherches et de travail qu'ils n'y en voulaient employer.
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the Dividions far enough, they must have had more Knowledge and Experience than we can allow them, and have made more Researches and taken more Pains, than we can suppose them willing to submit to. Now if, even at this present time, we every Day discover new Species, which had before escaped all our Observations, how many Species must have escaped the Notice of Men, who judged of Things merely from their first Appearances! As to the primitive Classes and the most general Notions, it were superfluous to add that these they must have likewise overlooked: how, for Example, could they have thought of or understood the Words, Matter, Spirit, Substance, Mode, Figure, Motion, since even our Philosophers, who for so long a time have been constantly employing these Terms, can themselves scarcely understand them, and since the Ideas
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Or si, même aujourd'hui, l'on découvre chaque jour de nouvelles espèces qui avaient échappé jusqu'ici à toutes nos observations, qu'on pense combien il dut s'en dérober à des hommes qui ne jugeaient des choses que sur le premier aspect! Quant aux classes primitives et aux notions les plus générales, il est superflu d'ajouter qu'elles durent leur échapper encore: comment, par exemple, auraient-ils imaginé ou entendu les mots de matière, d'esprit, de substance, de mode, de figure, de mouvement, puisque nos philosophes qui s'en servent depuis si longtemps ont bien de la peine à les entendre eux-mêmes, et que les idées qu'on attache à ces mots étant purement métaphysiques, ils n'en trouvaient aucun modèle dans la nature?
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annexed to these Words being purely Metaphycial, no Models of them could be found in Nature? I stop at these first Advances, and beseech my Judges to suspend their Lecture a little, in order to consider, what a great Way Language has still to go, in regard to the Invention of Physical Substantives alone, (tho' the easiest Part of Language to invent,) to be able to express all the Sentiments of Man, to assume an invariable form, to bear being spoken in public, and to influence Society: I earnestly entreat them to consider how much Time and Knowledge must have been requisite to find out Numbers, abstract Words, (14) the Aorists, and all the other Tenses of Verbs, the Particles, and Syntax, the Method of connecting Propositions and Arguments, of forming all the Logic of Discourse. For
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Je m'arrête à ces premiers pas, et je supplie mes juges de suspendre ici leur lecture; pour considérer, sur l'invention des seuls substantifs physiques, c'est-à-dire, sur la partie de la langue la plus facile à trouver, le chemin qui lui reste à faire, pour exprimer toutes les pensées des hommes, pour prendre une forme constante, pouvoir être parlée en public, et influer sur la société. Je les supplie de réfléchir à ce qu'il a fallu de temps et de connaissances pour trouver les nombres (Note 14), les mots abstraits, les aoristes, et tous les temps des verbes, les particules, la syntaxe, lier les propositions, les raisonnements, et former toute la logique du discours.
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my own Part, I am so feared at the Difficulties that multiply at every Step, and so convinced of the almost demonstrated Impossibility of Languages owing their Birth and Establishment to Means that were merely human, that I must leave to whosever may please to take it up, the Task of discussing this difficult Problem, "Which was the most necessary, Society already formed to invent Languages, or Languages already invented to form Society?"
But be the Case of these Origins ever so mysterious, we may at least infer from the little care which Nature has taken to bring Men together by mutual Wants, and make the use of Speech easy to them, how little she has done towards making them sociable, and how little she has contributed to any thing which they themselves have done to become so. In fact, it is impossible to conceive,
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Quant à moi, effrayé des difficultés qui se multiplient, et convaincu de l'impossibilité presque démontrée que les langues aient pu naître et s'établir par des moyens purement humains, je laisse à qui voudra l'entreprendre la discussion de ce difficile problème, lequel a été le plus nécessaire, de la société déjà liée, à l'institution des langues, ou des langues déjà inventées, à l'établissement de la société. Quoi qu'il en soit de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu'a pris la nature de rapprocher les hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l'usage de la parole, combien elle a peu préparé leur sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu'ils ont fait, pour en établir les liens.
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why, in this primitive State, one Man should have more Occasion for the Assistance of another, than one Monkey, or one Wolf for that of another Animal of the same Species; or supposing that he had, what Motive could induce another to assist him; or even, in this last Case, how he, who wanted Assistance, and he from whom it was wanted, could agree among themselves upon the Conditions. Authors, I know, are continually telling us, that in this State Man would have been a most miserable Creature; and if it is true, as I fancy I have proved it, that he must have continued many Ages without either the Desire or the Opportunity of emerging from such a State, this their Assertion could only serve to justify a Charge against Nature, and not any against the Being which Nature had thus constituted; but, if I thoroughly understand this Term miserable, it is a Word, that either has no Meaning, or signifies
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En effet, il est impossible d'imaginer pourquoi, dans cet état primitif, un homme aurait plutôt besoin d'un autre homme qu'un singe ou un loup de son semblable, ni, ce besoin supposé, quel motif pourrait engager l'autre à y pourvoir, ni même, en ce dernier cas, comment ils pourraient convenir entre eux des conditions. Je sais qu'on nous répète sans cesse que rien n'eût été si misérable que l'homme dans cet état; et s'il est vrai, comme je crois l'avoir prouvé, qu'il n'eût pu qu'après bien des siècles avoir le désir et l'occasion d'en sortir, ce serait un procès à faire à la nature, et non à celui qu'elle aurait ainsi constitué. Mais, si j'entends bien ce terme de misérable, c'est un mot qui n'a aucun sens, ou qui ne signifie qu'une privation douloureuse et la souffrance du corps ou de l'âme. Or je voudrais bien qu'on m'expliquât quel peut être le genre de misère d'un être libre dont le coeur est en paix et le corps en santé.
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nothing but a Privation attended with Pain, and a suffering State of Body or Soul: now I would fain know what kind of Misery can be that of a free Being, whose Heart enjoys perfect Peace, and Body perfect Health? and which is aptest to become insupportable to those who enjoy it, a Civil or a Natural Life? In Civil Life we can scarcely meet a single Person who does not complain of his Existence; many even throw away as much of it as they can, and the united Force of Divine and Human Laws can hardly put bounds to this Disorder. Was ever any free Savage known to have been so much as tempted to complain of Life, and lay violent Hands on himself? Let us therefore judge with less Pride on which side real Misery is to be placed. Nothing, on the contrary, must have been so unhappy as savage Man, dazzled by flashes of Knowledge, racked by Passions, and reasoning on a State different from that in
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Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent? Nous ne voyons presque autour de nous que des gens qui se plaignent de leur existence, plusieurs même qui s'en privent autant qu'il est en eux, et la réunion des lois divine et humaine suffit à peine pour arrêter ce désordre. Je demande si jamais on a ouï dire qu'un sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner la mort? Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien au contraire n'eût été si misérable que l'homme sauvage, ébloui par des lumières, tourmenté par des passions, et raisonnant sur un état différent du sien.
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which he saw himself placed. It was in consequence of a very wise Providence, that the Faculties, which he potentially enjoyed, were not to develop themselves but in proportion as there offered Occasions to exercise them, left they should be superfluous or troublesome to him when he did not want them, or tardy and useless when he did. He had in his Instinct alone every thing requisite to live in a State of Nature; in his cultivated Reason he has barely what is necessary to live in a State of Society. It appears at first Sight that, as there was no kind of moral Realtions between Men in this State, nor any known Duties, they could not be either good or bad, and had neither Vices nor Virtues, unless we take these Words in a Physical Sense, and call Vices, in the Individual, the Qualities which may prove detrimental to his own Preservation, and Virtues
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Ce fut par une providence très sage, que les facultés qu'il avait en puissance ne devaient se développer qu'avec les occasions de les exercer, afin qu'elles ne lui fussent ni superflues et à charge avant le temps, ni tardives, et inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu'il fallait pour vivre dans l'état de nature, il n'a dans une raison cultivée que ce qu'il lui faut pour vivre en société. Il paraît d'abord que les hommes dans cet état n'ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n'avaient ni vices ni vertus, à moins que, prenant ces mots dans un sens physique, on n'appelle vices dans l'individu les qualités qui peuvent nuire à sa propre conservation, et vertus celles qui peuvent y contribuer; auquel cas, il faudrait appeler le plus vertueux celui qui résisterait le moins aux simples impulsions de la nature.
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those which may contribute to it; in which case we should be obliged to consider him as most virtuous, who made least Resistance against the simple Impulses of Nature. But without deviating from the usual Meaning of these Terms, it is proper to suspend the Judgment we might form of such a Situation, and be upon our guard against Prejudice, till, the Balance in hand, we have examined whether there are more Virtues or Vices among civilized Men; or whether the Improvement of their Understanding is sufficient to compensate the Damage which they mutually do to each other, in proportion as they become better informed of the Services which they ought to do; or whether, upon the whole, they would not be much happier in a Condition, where they had nothing to fear or to hope from each other, than in that where they have submitted to an universal Subserviency, and have obliged themselves to depend for every thing
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Mais sans nous écarter du sens ordinaire, il est à propos de suspendre le jugement que nous pourrions porter sur une telle situation, et de nous défier de nos préjugés, jusqu'à ce que, la balance à la main, on ait examiné s'il y a plus de vertus que de vices parmi les hommes civilisés, ou si leurs vertus sont plus avantageuses que leurs vices ne sont funestes, ou si le progrès de leurs connaissances est un dédommagement suffisant des maux qu'ils se font mutuellement, à mesure qu'ils s'instruisent du bien qu'ils devraient se faire, ou s'ils ne seraient pas, à tout prendre, dans une situation plus heureuse de n'avoir ni mal à craindre ni bien à espérer de personne que de s'être soumis à une dépendance universelle, et de s'obliger à tout recevoir de ceux qui ne s'obligent à leur rien donner.
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upon the good will of those, who do not think themselves obliged to give any thing in return. But above all things let us beware concluding with Hobbes, that Man, as having no Idea of Goodness, must be naturally bad; that he is vicious because he does not know what Virtue is; that he always refuses to do any Service to those of his own Species, because he believes that none is due to them; that, in virtue of that Right which he justly claims to every thing he wats, he foolishly looks upon himself as Proprietor of the whole Universe. Hobbes very plainly saw the Flaws in all the modern Definitions of Natural Right: but the Consequences, which he draws from his own Definition, show that it is, in the Sense he understands it, equally exceptionable. This Author, to argue from his own Principles, should say that the State of Nature, being that
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N'allons pas surtout conclure avec Hobbes que pour n'avoir aucune idée de la bonté, l'homme soit naturellement méchant, qu'il soit vicieux parce qu'il ne connaît pas la vertu, qu'il refuse toujours à ses semblables des services qu'il ne croit pas leur devoir, ni qu'en vertu du droit qu'il s'attribue avec raison aux choses dont il a besoin, il s'imagine follement être le seul propriétaire de tout l'univers. Hobbes a très bien vu le défaut de toutes les définitions modernes du droit naturel: mais les conséquences qu'il tire de la sienne montrent qu'il la prend dans un sens qui n'est pas moins faux. En raisonnant sur les principes qu'il établit, cet auteur devait dire que l'état de nature étant celui oł le soin de notre conservation est le moins préjudiciable à celle d'autrui, cet état était par conséquent le plus propre à la paix, et le plus convenable au genre humain.
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where the Care of our own Preservation interferes least with the Preservation of others, was of course the most favourable to Peace, and most suitable to Mankind; whereas he advances the very reverse in consequence of his having injudiciously admitted, as Objects of that Care which Savage Man should take of his Preservation, the Satisfaction of numberless Passions which are the work of Society, and have rendered Laws necessary. A bad Man, says he, is a robust Child. But this is not proving that Savage Man is a robust Child; and tho' we were to grant that he was, what could this Philosopher infer from such a Concession? That if this Man, when robust, depended on others as much as when feeble, ther is no Excess that he would not be guilty of. He would make nothing of striking his Mother when she delayed ever so little to give him the Breast; he would claw, and bite, and strangle without remorse
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Il dit précisément le contraire, pour avoir fait entrer mal à propos dans le soin de la conservation de l'homme sauvage le besoin de satisfaire une multitude de passions qui sont l'ouvrage de la société, et qui ont rendu les lois nécessaires. Le méchant, dit-il, est un enfant robuste; il reste à savoir si l'homme sauvage est un enfant robuste. Quand on le lui accorderait, qu'en conclurait-il? Que si, quand il est robuste, cet homme était aussi dépendant des autres que quand il est faible, il n'y a sorte d'excès auxquels il ne se portât, qu'il ne battît sa mère lorsqu'elle tarderait trop à lui donner la mamelle, qu'il n'étranglât un de ses jeunes frères lorsqu'il en serait incommodé, qu'il ne mordît la jambe à l'autre lorsqu'il en serait heurté ou troublé; mais ce sont deux suppositions contradictoires dans l'état de nature qu'être robuste et dépendant; l'homme est faible quand il est dépendant, et il est émancipé avant que d'être robuste.
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the first of his younger Brothers, that ever so accidentally jostled or otherwise disturbed him. But these are two contradictory Suppositions in the State of Nature, to be robust and dependent. Man is weak when dependent, and his own Master before he grows robust. Hobbes did not consider that the same Cause, which hinders Savages from making use of their Reason, as our Jurisconsults pretend, hinders them at the same time from making an ill use of their Faculties, as he himself pretends; so that we may say that Savages are not bad, precisely because they don't know what it is to be good; for it is neither the Development of the Understanding, nor the Curb of the Law, but the Calmness of their Passions and their Ignorance of Vice that hinders them from doing ill: tanto plus in illis proficit Vitiorum ignorantia, quam in his cognitio Virtutis. There is besides another Principle that has escaped Hobbes, and which, having been given
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Hobbes n'a pas vu que la même cause qui empêche les sauvages d'user de leur raison, comme le prétendent nos jurisconsultes, les empêche en même temps d'abuser de leurs facultés, comme il le prétend lui-même; de sorte qu'on pourrait dire que les sauvages ne sont pas méchants précisément, parce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'être bons; car ce n'est ni le développement des lumières, ni le frein de la loi, mais le calme des passions, et l'ignorance du vice qui les empêche de mal faire; tanto plus in illis proficit vitiorum ignoratio, quam in his cognitio virtutis.
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to Man to moderate, on certain Occasions, the blind and impetuous Sallies of Self-love, or the Desire of Self-preservation previous to the Apperance of that Passion, (15) allays the Ardour, with which he naturally pursues his private Welfare, by an innate Abhorrence to see Beings suffer that resemble him. I shall not surely be contradicted, in granting to Man the only natural Virtue, which the most passionate Detractor of human Virtues could not deny him, I mean that of Pity, a Disposition suitable to Creatures weak as we are, and liable to so many Evils; a Virtue so much the more universal, and withal useful to Man, as it takes place in him of all manner of Reflection; and so natural, that the Beasts themselves sometimes give evident Signs of it. Not to speak of the Tenderness of Mothers for their Young; and of the Dangers they face to screen them from Danger; with what Reluctance are Horses known to
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Il y a d'ailleurs un autre principe que Hobbes n'a point aperçu et qui, ayant été donné à l'homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour (Note 15), tempère l'ardeur qu'il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l'homme la seule vertu naturelle, qu'ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le sommes; vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'homme qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu'elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu'ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant;
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